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VOLTAIRE HISTORIEN.

absolue et la négation absolue. Il fallait choisir entre le surnaturel ou la fraude. Montesquieu, qui médit de l’histoire de Voltaire, ne comprend pas Jeanne d’Arc autrement que Voltaire[1]. L’hypothèse de la fourberie pieuse est, au xviiie siècle, le point de vue réellement le plus raisonnable.

Voltaire est en complet accord avec la raison de son temps : de là le succès de son Essai qui, de 1753 à l’édition de Kehl, fut réimprimé au moins seize fois. L’abbé Audra en lit pour les collèges un abrégé expurgé, où il garda « les principes de raison et d’humanité ». Jusqu’à la réaction catholique et romantique du xixe siècle, c’est Voltaire qui fournit aux esprits cultivés leur représentation de la marche de la civilisation.

Il est superflu de dire que la méthode de Voltaire ne suffit plus aujourd’hui. Mais elle marque une étape dans le passage de l’histoire traditionnaliste à l’histoire scientifique. Voltaire ne cherche pas hors de l’histoire le sens de l’histoire. La certitude historique ne se mesure pas pour lui sur l’accord des faits avec certaines idées dogmatiques : elle dépend uniquement de la qualité des matériaux que l’historien emploie. Son principe nous affranchit du respect de ses erreurs, et nous ne sommes liés à ses solutions qu’autant que nous voyons les documents leur donner crédit. On ne discute plus le Discours sur l’histoire Universelle : on discute Voltaire, on le réfute. C’est que son histoire admet les mêmes critériums que la nôtre. Herder et Michelet, Thierry et Guizot ne l’ont remplacé qu’en le continuant.

  1. Pensées, II, 59 et 258.