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VOLTAIRE.

une image flattée des musulmans, des Chinois, des Hindous, de toutes les civilisations qui n’étaient pas chrétiennes.

Encore ne faut-il pas pousser cette critique trop loin. Les historiens romantiques ou religieux du xixe siècle nous ont donné du moyen âge une image idéale, qui est fausse. Il y avait dans la réalité de quoi justifier Voltaire : l’impartial et saisissant tableau de M. Luchaire le prouve. Mais il faut surtout bien comprendre que si Voltaire a été trop sévère au moyen âge, ce n’est pas tant par irréligion que par rationalisme. Son irréligion s’est réjouie des idées que son rationalisme lui imposait. C’étaient les lumières du siècle, et non l’esprit antichrétien, qui condamnaient le fanatisme, la brutalité, l’ignorance, l’enthousiasme. Ni l’abbé de Saint-Pierre[1] ni le président Hénault[2] n’osent excuser les croisades : on pensera que l’esprit philosophique les a gâtés. Mais le dira-t-on de l’abbé Fleury ? Personne n’a plus nettement condamné les croisades[3]. Le jugement de ce chrétien raisonnable sur le moyen âge ne diffère guère de celui de Voltaire. Les esprits éclairés de formation classique, pieux ou impies, ne pouvaient être indulgents à ces siècles « grossiers ».

Dans l’état des sciences psychologiques, on ne pouvait parler des phénomènes religieux, des miracles, de Jeanne d’Arc et de saint François d’Assise, comme l’historien même incroyant en parle aujourd’hui. Il n’y avait pas de milieu entre la crédulité

  1. Goumy, l’abbé de Saint-Pierre, 200.
  2. Hénault, éd. de 1768, p. 976-979.
  3. Disc. sur l’hist. ecclés., 269, et tout le 6e Discours. — Cf. aussi, sur le moyen âge le 3e Disc.