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LA JEUNESSE DE VOLTAIRE.

Il n’y a rien d’étonnant à ce que le père Arouet, officier subalterne à la Chambre des comptes, ait voulu faire de son fils un avocat du roi : c’était pour la famille un avancement régulier. Si le jeune homme refusa, il retint pourtant la maxime de sa classe, qu’il n’y avait dans la bourgeoisie que les sots qui restaient bourgeois. Il en retint aussi le sentiment qu’il fallait élargir la distance qui séparait sa classe de la basse bourgeoisie, du peuple des métiers : de là les airs avec lesquels il rappelle que le père de Jean-Baptiste Rousseau faisait des souliers pour le sien ; c’est la même hauteur avec laquelle le duc de Saint-Simon remarque que ce Voltaire, devenu une manière de personnage, est le fils du notaire de son père.

Le déclassement, pour un homme adroit, devenait plus aisé, maintenant que la vie de société mêlait toutes les conditions et effaçait les empreintes professionnelles. Les magistrats, malgré les édits, quittent les habits noirs, les manteaux et les collets, paraissent aux théâtres et aux bals, prennent des façons de courtisans. Les médecins se font hommes du monde. Les marchands même se polissent, commencent à mettre dans leur vie un peu d’élégance et de luxe, à goûter les plaisirs de la société[1].

L’amour des lettres est une partie de la politesse, M. Jourdain et Turcaret se dégrossissent. Les gens de lettres hantent leurs maisons, en égaux, en amis, ni méprisés, ni méprisants. Poètes, philosophes et

  1. La Bruyère, chap. iii et vii. Siècle de Louis XIV, chap. xxix.