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VOLTAIRE HISTORIEN.

essentiellement dans trois idées, dont deux nous sont connues déjà par le Siècle de Louis XIV : c’est d’abord celle de faire l’histoire de l’esprit humain, de la civilisation, non pas seulement des rois ; ensuite, celle de raconter les révolutions du commerce, des mœurs et des arts, et non seulement les guerres et les traités. La troisième est de faire l’histoire du monde, et non de l’Europe seule. Chevreau et Puffendorf avaient déjà fait place à l’Afrique, à l’Amérique, à l’Inde, à la Chine dans leurs histoires universelles : mais ce n’était chez eux qu’une exactitude matérielle ; ils racontaient toutes les nations qu’ils rencontraient sur la mappemonde. Voltaire obéit à une idée philosophique. C’est mutiler l’histoire que de la réduire à la civilisation occidentale et à ses origines gréco-juives. Très loin, dans le brouillard de la préhistoire, on n’aperçoit encore ni Romains, ni Grecs, ni Juifs, ni Egyptiens même, mais déjà les Chaldéens, les Chinois, les Hindous. Le monde a une histoire, des histoires, avant l’Histoire Sainte : quelle joie de faire coup double, et d’atteindre une vérité en blessant la religion !

Depuis la Renaissance et les grandes découvertes maritimes, l’historien ni le politique ne peuvent borner leur vue à l’Europe. Toutes les nations sont solidaires, et liées par le commerce[1]. En buvant du café d’Arabie dans une tasse de Chine, Voltaire voit s’agrandir son horizon historique.

Ces trois idées construisent le cadre et commandent le développement de l’Essai. Voltaire commence

  1. XI, 158 ; XXIV, 28.