Page:Lanson - Voltaire, éd5.djvu/123

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
119
VOLTAIRE HISTORIEN.

jusqu’à Utrecht. Ici se place la péripétie. Quatre cavaliers sont entrés à Muyden où sont les écluses, et n’y sont pas restés : ils ont failli faire réussir, et ils ont ruiné, sans y penser, le dessein de domination universelle. Sur ce petit incident, tout le drame revire. À Nimègue, c’est l’arrêt, à Ryswick, c’est l’échec de la grandeur de Louis XIV, et la paix d’Utrecht n’est une délivrance pour le lecteur que parce qu’il attendait avec angoisse la subversion totale de la France.

Point de portraits : la vie est mobile et ne se fixe pas. La physionomie de Louis XIV est à toutes les pages du livre, diversement éclairée, changeante et multiple[1]. Point de harangues. Des réflexions, qui sont la marque du philosophe. L’esprit réagit contre sa matière par toute sorte de remarques, de critiques et d’épigrammes[2]. Il ne faut pas s’imaginer que ce pétillement perpétuel de réflexions ne consiste qu’à dauber les prêtres et médire des grands. Sans doute les grands partis pris de la philosophie voltairienne paraissent partout : irréligion, amour de la paix, tolérance, goût du luxe, orgueil bourgeois, idée du bien public, cosmopolitisme, passion des lettres ; mais, de plus, quelle variété d’idées ! discussions rapides des mobiles des individus et des foules, doutes sur les désintéressements parfaits comme sur les scélératesses extrêmes, analyses lucides des éléments de succès ou de faiblesse, remarques sur la baïonnette et sur le fusil des

  1. XV, 123.
  2. Voyez dans ce qu’on a appelé le Sottisier (t. XXXII) comment Voltaire est excité par les documents.