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VOLTAIRE HISTORIEN.

dont je vous parle ont préparé des plaisirs purs et durables aux hommes qui ne sont point encore nés. Une écluse du canal qui joint les deux mers, un tableau du Poussin, une belle tragédie, une vérité découverte, sont des choses mille fois plus précieuses que toutes les annales de la cour, que toutes les relations de campagne. Vous savez que chez moi les grands hommes sont les premiers, et les héros les derniers.

J’appelle grands hommes tous ceux qui ont excellé dans l’utile ou dans l’agréable. Les saccageurs de province ne sont que héros[1].

C’est donc le mouvement de la civilisation, la diffusion de la raison, mais de la raison appliquée au bien être, que Voltaire a voulu peindre. Et voilà par où il a cru faire œuvre à la fois de bon citoyen et de bon cosmopolite.

Mais il était impossible de peindre la marche de l’humanité sans se prononcer sur la force qui donne l’impulsion : autre dessein qui croise les autres, autre série de rapports à dégager. Depuis 1 500 ans, la conception Providentielle de l’histoire dominait les esprits : elle avait trouvé son expression éclatante dans le Discours sur l’histoire universelle.

Voltaire élimine de l’histoire la prudence divine. Les événements sont le produit nécessaire des lois universelles. Des chocs et des coïncidences qu’on ne peut prévoir — on les appelle hasard — déterminent les destinées des peuples. Un verre d’eau sur une robe, et voilà Marlborough en disgrâce, la paix rétablie entre l’Angleterre et la France. Un curé et un conseiller dirigent un jour leur promenade vers Denain, et voilà la voie de la victoire découverte à Villars. D’heureuses réussites adaptent

  1. XXXIII, 506.