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VOLTAIRE.

Les bienséances mondaines emmaillottent l’histoire comme tous les genres. Le discret président Hénault objecte au libre jugement de Voltaire sur un prince : « Cela peut se dire au coin du feu, mais ne s’écrit pas[1]  ». Et toujours les pouvoirs spirituel et temporel guettent l’historien : même Hénault, pour n’être pas tracassé, est obligé de « supprimer plus des trois quarts » de son livre, « c’est-à-dire ce qu’il y a de plus curieux[2] ». Et pour accorder adroitement sa conscience avec son repos, il ne condamne la Saint-Barthélémy que par une citation de l’archevêque Péréfixe.

Voltaire venait donc au moment où l’on commençait à attacher du prix à la vérité, à la critique, à l’indépendance dans l’histoire, mais où ces qualités n’étaient pas encore communes. Il y avait de l’originalité à les rechercher, et l’on pouvait déjà espérer d’être payé de sa peine par le public.

L’Histoire de Charles XII fut le début de Voltaire (1731). Choisissant l’histoire moderne comme plus intéressante et plus utile pour les hommes de son temps, et dans les temps modernes un sujet rempli d’aventures et de caractères extraordinaires, ayant relu Quinte Curce[3], mais rejetant l’appareil classique des harangues et des portraits, citant ou analysant des propos réels, des lettres authentiques, peignant les événements et les hommes par de petits faits, par des circonstances exactes, contrôlant les anecdotes, les filtrant de tous les détails crus ou vulgaires, il fit

  1. Lion, le Président Hénault, p. 68.
  2. Ibid., 269.
  3. XXXIII, 193.