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VOLTAIRE HISTORIEN.

À la fin du xviie siècle, au début du xviiie, on commence à se faire des idées plus justes. On cesse de s’en tenir aux lieux communs pris de Cicéron et de Lucien sur le devoir de l’historien. Bayle[1], le P. Daniel, Fénelon, Lenglet-Dufresnoy[2] aperçoivent, et font entrevoir au public quelques-unes des conditions nécessaires du travail historique. Les mondes jusque-là sans communication des érudits et des littérateurs se rapprochent par l’Académie des Inscriptions, par la vie de salon, par les cafés.

Cependant la pratique reste bien en arrière de la théorie. Rapin de Thoyras écrit sur les sources, avec une critique éveillée, l’histoire d’Angleterre : on l’en estime. Mais le grand, l’éclatant succès va au candide Rollin, au compilateur sans critique de l’histoire ancienne. Ceux qui font la théorie sont les premiers à ne pas l’appliquer. Lenglet-Dufresnoy a des crédulités puériles et des certitudes extravagantes. Le P. Daniel, qui a fait une si belle Préface, quand on lui montre « onze ou douze cents volumes de pièces originales et manuscrites qui se trouvent à la Bibliothèque du Roi », passe « une heure à les parcourir, et dit qu’il était fort content. C’est tout l’usage qu’il a fait de cet immense recueil ». Ensuite il confie au P. Tournemine « que toutes ces pièces étaient des paperasses inutiles dont il n’avait pas besoin pour écrire son histoire[3] ».

  1. Bayle, Dict. crit., articles Concini, Abimélech, Élisabeth, etc
  2. Méthode pour étudier l’histoire, 1713 et 1729.
  3. Lenglet-Dufresnoy, Méthode, IV, 47, Supplément, 2e part., p. 159.