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VOLTAIRE.

des dissertations critiques. Il n’avait pas eu de grand historien, Bossuet excepté, qui se souciât d’unir l’exactitude au talent littéraire. Tillemont, Cordemoy, Fleury, avaient fait de solides, d’honnêtes travaux sans éclat. Les beaux esprits donnaient de l’éloquence, des harangues pompeuses, des portraits élégants, des pensées fines ou graves : ils ne négligeaient que l’essentiel. L’histoire de France surtout était la proie des rhéteurs serviles. La peur de la Bastille, l’espoir des pensions étaient aux historiens le goût de la vérité. Un esprit indépendant, comme Mézeray se jetait, sans plus rigoureuse information, dans la malignité satirique : on appelait cela liberté. Vertot et Saint-Réal poussaient l’histoire au roman, et la frontière des deux genres était si mal tracée, que le P. Lelong inscrivait à côté des savants Duchesne et Labbe, parmi les historiens modernes de la France, l’inventeur des Mémoires de d’Artagnan, Courtilz de Sandras.

On savait que le public tenait par-dessus tout à l’agrément. Au dire de Mézeray, l’exactitude ne pouvait le servir qu’auprès de bien peu de gens, l’aurait desservi auprès des autres peut-être, et sans doute ne lui aurait pas mérité d’éloges proportionnés à ce surcroît de peine. Aussi s’en était-il dispensé.

On a vu un homme chargé du soin d’écrire l’histoire de France, qui, après avoir déjà composé tout ce qui regarde la première race, demandait ce que c’était que Duchesne ; il n’avait pas seulement ouï parler de cet auteur, ni de tous les écrivains dont Duchesne a ramassé les ouvrages. Imaginez-vous où il pouvait prendre son histoire, ne sachant pas que l’on dût lire les seuls auteurs qui la fournissent[1].

  1. P. de Villiers, Entretiens sur les contes de fées, 1699, p. 60.