Page:Lanson - Voltaire, éd5.djvu/105

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
101
LE GOÛT DE VOLTAIRE.

journaux ; après, préfaces, dédicaces, discours, lettres. C’était pendant longtemps du bruit, et parfois du scandale : il n’y avait pas moyen de ne pas prêter attention. La nouveauté la plus atténuée prenait par l’annonce et dans les commentaires le relief que l’exécution n’avait pas. Le public d’ailleurs savait gré à Voltaire d’allier tant de mesure avec tant de hardiesse. Si quelques critiques blâmaient ses « excès », en général on lui donnait le mérite d’arrêter ses imitations de Shakespeare et du théâtre anglais au point qu’indiquait le goût français, le bon goût, de ne pas pousser l’émotion jusqu’à la tristesse sauvage ou la secousse brutale qui n’étaient plus des plaisirs. Avec lui, le théâtre restait un jeu agréable, une fête de gens du monde. L’enveloppe de son style et de son vers « raciniens » qui ménageaient les habitudes du public, adoucissait d’élégance harmonieuse et fluide les plus violentes situations ; et dans les couplets fiévreusement boursouflés, dans les chocs bien réglés des répliques, dans les convulsions où toutes les bienséances délicates étaient observées, nos arrière-grands-pères se donnaient l’illusion d’avoir touché un moment les bornes de l’horreur tragique.

Ces tragédies, qu’il concevait avec enthousiasme, qu’il corrigeait et refaisait sans se lasser, toujours inquiet et curieux du mieux, disputant avec lui-même et avec ses amis complaisamment, et qui, de tant de refaçons, gardaient un air d’improvisation facile, étaient des reprises adroites de tous les plus fameux et plus sûrs clichés dramatiques de la Grèce, de l’Angleterre et de la France :