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VOLTAIRE.

l’histoire de la fille injustement accusée dont un chevalier inconnu se déclare le champion : scénario touchant que Voltaire assaisonne de quiproquos, de jalousies, de tous les ingrédients connus de la tragédie classique et du drame. Sur la scène récemment débarrassée de spectateurs, évoluent des chevaliers du moyen âge, c’est-à-dire parés des armures de tournoi du xvie siècle ; on la décore de boucliers, d’écharpes et de devises, on y dresse des pavillons. On y établit une lice pour le combat où le sombre Tancrède sauve la dolente Aménaïde. « La Clairon, traversant la scène, à demi renversée sur les bourreaux qui l’environnent, ses genoux se dérobant sous elle, les bras tombants, comme morte », et qui tout d’un coup se relevait avec un cri en apercevant Tancrède, réalisait un art nouveau.

Corneille et Racine avaient fait des tragédies pour l’esprit, ils avaient mis en discours tout ce qu’ils voulaient qu’on sentît. Voltaire, outre les effets qu’il jetait dans son style brillant, avait d’autres choses à dire, qu’il disait par la gesticulation de ses acteurs, par les symboles des accessoires et du décor. Sa tragédie n’est achevée qu’en scène. La Champmeslé traduisait les vers de Racine : Clairon ajoute son jeu aux vers de Voltaire, et cette collaboration crée Idamé ou Aménaïde. Voilà pourquoi Voltaire tourmente sans relâche ses comédiens, les anime, les secoue pour tirer d’eux une intonation, un mouvement, essaye de leur communiquer un peu de son diable au corps.

Tous ces spectacles étaient assaisonnés de discussions piquantes : avant, confidences aux amis et aux