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LE GOÛT DE VOLTAIRE.

par deux ouvrages neufs et singuliers, l’Orphelin de la Chine et Tancrède. Voici Mlle Clairon en « habit chinois » composé « d’une double jupe d’étoffe blanche, d’un corset de cannetot vert, orné de cartissanes et de réseaux et glands d’or », avec « une robe ou polonaise en gaze couleur feu et or doublée de taffetas bleu », « sans paniers, sans manchettes, et les bras nus », ayant des gestes « pour ainsi dire étrangers, mettant souvent une main ou toutes les deux sur les hanches, tenant sur le front pendant des moments son poing fermé ». En face de cette touchante Idamé, voici le farouche conquérant qui subira peu à peu son charme féminin de raison et de vertu : c’est Lekain, en tunique rayée cramoisi et or, ses gros bras de boucher sortant de manches larges et courtes, sur le dos une peau de lion et un carquois plein de flèches, un sabre turc au côté, un arc immense à la main, sur la tête un casque à mufle de lion, orné d’onze énormes plumes d’où montait une aigrette rouge. Cette « vérité » de costume s’assortissait délicieusement à la versification de Voltaire : il peignait un père, une mère sacrifiant leur fils au salut de l’héritier du trône, le conflit tragique de la loyauté monarchique et des affections naturelles, le contraste philosophique de la Chine lettrée, pacifique et humaine, et du Tartare grossier, nomade et guerrier : un chapitre d’Essai sur les mœurs dans un cadre de mélodrame !

Dans Tancrède, sujet pris à Mme de Fontaine, qui le dériva de l’Arioste, apparaît sur la scène française le goût « troubadour » qui précéda le moyen âge romantique. C’est — chez les Normands de Sicile —