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VOLTAIRE.

Puis il dépaysait son public, le réveillait, l’amusait par un défilé de héros et d’héroïnes de toute nation et de toute époque : Espagnols et Américains d’Alzire, Marocains de Zulime, Arabes de Mahomet, Grecs de Mérope et d’Oreste, Assyriens de Sémiramis, Romains de Rome sauvée, Chinois de l’Orphelin. Normands siciliens de Tancrède. La tragédie faisait le tour du monde et illustrait l’histoire universelle.

Et quelles combinaisons excitantes d’intentions et d’inventions ! Philosophie et christianisme d’Alzire, philosophie et irréligion et pathétique anglais de Mahomet, tragique à la grecque dans Mérope et dans Oreste, où l’intrigue est purgée d’amour et toute pathétique avec des pointes de libre pensée, décorations magnifiques et expressives de Sémiramis, avec une ombre qui sort du tombeau, une ombre eschyléenne et non plus shakespearienne, — car Voltaire en a assez de Shakespeare, depuis que La Place l’a traduit et que les Français semblent y mordre ; le P. Brumoy, dans son Théâtre des Grecs, lui fournit de quoi le remplacer : désormais il renversera les termes et les proportions de son jugement sur Shakespeare ; il disait jadis : pas de goût, mais quel génie chez ce barbare Anglais ! il dira maintenant ; des saillies heureuses, quelques morceaux d’un bel effet, mais quelle grossièreté ! un sauvage ivre ! — Et c’est le triple duel avec Crébillon, à qui il donne des leçons de simplicité tragique, de pathétique grec et d’histoire romaine.

Enfin, après toute sorte de chutes et de succès, la période créatrice de la tragédie voltairienne se clôt