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VOLTAIRE.

billon, la forme serrée de la tragédie raisonnable se défaisait peu à peu, et le public prenait le goût des situations extraordinaires, des passions dénaturées, des coups de théâtre saisissants , des incognitos féconds en attentes anxieuses, des reconnaissances terribles ou touchantes.

Alors était venu le petit Arouet, qui, à côté de l’Œdipe suranné de Corneille, de l’Œdipe grossier de Sophocle, avait placé un Œdipe tout reluisant de nouveauté, un Œdipe ingénieux et impertinent, à la française, où l’invraisemblance et la noirceur du sujet se réduisaient aux bienséances et s’égayaient de saillies philosophiques. Ne disait-on pas même que ce gamin hardi avait eu l’idée de réaliser pour son début un regret platonique de Fénelon et d’ôter à la tragédie de Corneille et de Racine l’intrigue d’amour, sous le prétexte qu’il n’y avait pas de place dans Œdipe pour les soupirs et la galanterie ? Il n’avait cédé qu’au refus des comédiens de jouer une tragédie sans amour. Ce brillant début promettait. On guettait l’auteur à la récidive ; on fut déçu. Les sifflets d’Artémire et de Marianne le prouvèrent.

La Motte déployait en préfaces et en discours ses paradoxes, et de bonne grâce y renonçait dans ses pièces, donnant ainsi le spectacle bien français d’une critique libre et d’une pratique routinière ; toutefois quelques timides nouveautés enjolivaient son Romulus et ses Macchabées, scénarios d’opéra un peu secs, et sa tendre Inès qui fît verser tant de larmes en 1723 : pendant ce temps Voltaire demeurait empêtré dans la tradition.

Mais à son retour de Londres, quel feu d’artifice !