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dualité et croient qu’il s’agit tout simplement de retourner au procédé de Sainte-Beuve. Or, c’est plutôt le contraire.

Le mérite propre de Sainte-Beuve est ici hors de cause. C’est un des trois ou quatre maîtres de la critique en notre siècle ; et l’on ne vit jamais plus de curiosité d’esprit, plus de souplesse, de pointe et de finesse. Mais on peut dire, sans le diminuer, que sa méthode, qui fut à son heure un progrès, serait un recul aujourd’hui si l’on prétendait y revenir.

Après les recherches encore vagues de Villemain, qui faisait de la littérature l’expression de la société, qui établissait des liens un peu flottants et lâches entre les grands courants sociaux et les grandes œuvres littéraires, Sainte-Beuve donna une ferme assiette à la critique, en la faisant reposer sur l’étude biographique : dans l’individu vivant, il trouvait l’intermédiaire réel et nécessaire par lequel les influences sociales de tout genre atteignent, suscitent et modifient les œuvres de poésie ou d’éloquence.

Mais, entraîné par son admirable intuition de moraliste, et par son sens impérieux de la vie, Sainte-Beuve en est venu à faire de la biographie presque le tout de la critique. Et ainsi je veux qu’il ait fait une « histoire naturelle des esprits », je veux qu’il ait déployé le plus rare talent d’historien moraliste : je veux même qu’il ait donné une col-