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le théâtre romantique.

toute l’histoire politique et toute la chronique de la mode pour l’année 1578 sont là. Rien d’artistique au reste dans la mise en œuvre, pas de vision poétique : une multitude de menus faits précis et secs, patiemment recueillis et juxtaposés, qui laissent une impression de confusion fatigante et d’enfantine érudition.

Après ce beau début, ce ne furent plus à la Comédie-Française, à l’Odéon, à la Porte-Saint-Martin que leçons sur l’histoire de France : Dumas donna Christine, Charles VII chez ses grands vassaux ; enfin cette Tour de Nesle, la plus joyeusement fantastique évocation du moyen âge qu’on ait jamais faite. Cependant Marion de Lorme, Le roi s’amuse, la Maréchale d’Ancre, Louis XI, complétaient l’éducation du peuple. Il n’est que trop facile aujourd’hui de railler la fausseté criarde et théâtrale de ces peintures. Songeons, pour en comprendre l’effet, qu’elles s’adressaient à des gens qui n’avaient lu qu’Anquetil et Velly : de sèches, froides et décolorées annales, où rien ne parlait à l’imagination.

Selon la formule romantique, Dumas n’hésite pas à jeter ses cours ou ses tableaux d’histoire à la traverse de l’action dramatique, sans souci de la ralentir ou de la refroidir. Ainsi le baron de Saverny arrête une intrigue violente pour faire une longue leçon à Charles VII. Même dans les sujets modernes, où la couleur locale nécessairement tient moins de place, on trouve dans Richard Darlington tout un tableau consacré à la description pittoresque des élections en Angleterre ; dans Antony, en plein quatrième acte, une conversation littéraire, intéressante du reste et instructive, mais qui devait être plutôt dans la préface que dans le drame.

Sous l’étalage de la couleur locale, sous le déploiement des tirades emphatiques, Dumas trouve moyen de révéler le tempérament d’un dramaturge. Il a le sens de la scène, l’instinct des combinaisons qui font effet : cet art très particulier du théâtre, qui n’a rien de commun avec la littérature, qui n’a besoin ni de la poésie ni du style pour valoir, aucun romantique ne l’a possédé comme Dumas. Ses drames historiques sont des modèles de découpage adroit, et ses drames d’invention sont machinés à merveille pour la scène. Surtout Dumas a le sens de l’action : en dépit de la sentimentalité romantique, il fait agir plus encore que parler ses personnages ; les situations s’accumulent, les intrigues se croisent, les coups de théâtre se chassent. Point de caractères : des passions élémentaires, sans nuances, banales en leur formule, mais monstrueuses d’intensité, et agissantes : quand les curiosités de la couleur locale et les débordements de la rhétorique ne lui imposent pas trop d’arrêts, le drame va d’un mouvement violent, haletant, avec une raideur brutale, vers son dénouement. Antony est à cet égard un modèle. Ce drame est, avec Chatterton, la pièce la plus