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la poésie romantique.

aime les ardents, les tendres, les indisciplinés : et les tristes qui voient tout en beau en pleurant sur tout. Il s’exalte dans la Bible et s’attendrit dans Paul et Virginie. Un voyage à Naples en 1811, un séjour aux gardes du corps en 1814, des excursions en Savoie et dans les Alpes, et le voici aux eaux d’Aix en 1816 : là il fait la connaissance de Mme Charles, la jeune femme d’un vieux physicien, phtisique et nerveuse, point vaporeuse ni exaltée, semble-t-il, charmante « avec ses bandeaux noirs et ses beaux yeux battus » ; elle mourut en 1818, chrétienne, le crucifix aux mains. Voilà celle qui fut Elvire, la figure de rêve autour de laquelle se ramassèrent les plus profondes impressions, les plus fiévreuses aspirations, les plus languissantes mélancolies de Lamartine. De cet amour éphémère, si vite rompu par la mort, et des états de sensibilité qu’il détermina, sortit le recueil des Premières Méditations[1] (1820).

Ni dans la langue, ni dans le vers, ni dans les thèmes, il n’y avait là rien de bien nouveau. Ce qui était nouveau, c’était cette intense spontanéité, cette sincérité qui, à chaque page, découvrait l’homme. On sentait que ce n’était pas là un ouvrage d’écrivain. Lamartine, en effet, ne voulut jamais être un homme de lettres : non par dédain d’aristocrate, mais par respect de son âme. Il fut poète, comme plus tard orateur et homme d’État, par inspiration, par besoin du cœur : ce fut une fonction de sa vie morale, d’ennoblir par le vers ses émotions intimes ; jamais il ne voulut en faire un exercice professionnel, jamais même un pur jeu d’artiste. Ni gagne-pain[2], ni amusement, sa poésie fut l’épanchement nécessaire d’une âme noble, belle et, si j’ose dire, fondante.

Et voilà pourquoi cette poésie fut si peu travaillée. Il se soulageait, se complétait en créant son œuvre ; et il se trouvait doué par malheur d’une facilité qui le dispensait de l’effort. Il improvisait trop brillamment pour revenir sur ses improvisations : elles satisfaisaient pleinement à son besoin. Il ne se sentait pas sollicité à faire ce dur labeur de gratte-papier, à enlever patiemment, douloureusement, les négligences, incorrections, longueurs, répétitions, monotonie, prosaïsme[3] : toutes les inégalités de l’œuvre n’étaient-elles pas, elles aussi, des produits spontanés de son âme ? Par ce

  1. À noter le titre, qui mettait ces poèmes hors des genres consacrés, définis, figés, et laissait toute indépendance au poète. De la littérature mystique, le mot avait été appliqué par Malebranche à la philosophie : plus récemment Volney avait qualifié ses Ruines de méditation. Par ce mot Lamartine signalait l’intimité de sa poésie.
  2. Il ne donna guère aux libraires, dans sa besogneuse vieillesse, que de la prose
  3. Quand le sentiment ne le soulève pas, Lamartine versifie dans le style de la Henriade, dit M. Faguet ; dans le style de Delille. dit M. Guyau. Ils ont tous les deux raison.