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la poésie romantique.

aux formes fixes, unitaires, ou variées selon une loi constante. C’est précisément ce que les premiers romantiques avaient fui. Ils ont aimé les suites indéfinies d’alexandrins, ou les couplets inégaux, pareils aux laisses de nos chansons de geste, mesurés par l’idée ou l’inspiration[1]. V. Hugo se plaît à changer le mètre dans l’intérieur d’un poème : il fait alterner les vastes couplets alexandrins avec les strophes agiles de petits vers ; et dans ces diverses parties, aucune égalité, aucun souci de tomber sur un nombre uniforme de vers ou de strophes[2]. Dans chaque pièce, et dans chaque partie, la pensée est génératrice du rythme, qui s’y colle étroitement, se resserrant, s’étendant, variant avec elle.

Lorsque l’on passe de Delille ou même de Casimir Delavigne à Lamartine et Hugo, on sent d’abord une extrême différence, qui ne tient pas à la structure du vers : car elle subsiste dans les vers les plus classiques des Méditations ou des Feuilles d’automne. Le vers de Lamartine et de Hugo chante. En dehors de toute modification des règles de la versification, il y a là une différence considérable. De ce vers qui n’était plus qu’un mécanisme, une simple loi de combinaison des mots pour produire, avec des difficultés en plus, les mêmes effets qu’on cherchait dans la prose, de ce vers atone, les romantiques ont fait une volupté de l’oreille. Ils ont rappelé les mots à leur fonction de sons, et dans la qualité de ces sons ils ont cherché un caractère, une expression, un plaisir. Ils ont assorti les sonorités aux sens, leurs successions et leurs rapports aux mouvements et aux phases de la pensée : ils ont senti et révélé la valeur sentimentale des syllabes graves ou aiguës, lourdes ou légères, traînantes ou rapides.

Dans ce réveil des sonorités du vers, la rime a été reconstituée pleine, riche, éclatante à la fois par le sens et par le son du mot qui la porte : de sorte qu’elle est devenue pour eux l’élément, prépondérant du vers[3].

En réalité, ils ont pourtant donné tout autant d’importance au rythme ; et ils ont fait faire un progrès décisif à l’alexandrin. Ce grand vers en était resté où Malherbe, puis Racine l’avaient laissé : séparé en deux hémistiches égaux qui eux-mêmes, théoriquement, se divisaient en deux éléments encore égaux, assemblé en distiques que liait la rime[4]. Dans la pratique ce type trop carré et symétrique était voilé par de fréquents prolongements de la

  1. Lamartine, 2e Méditation. Vigny, Moïse, etc. Hugo, Pensar, dudar ; Sagesse ; Ce qui se passait aux Feuillantines.
  2. Hugo, Navarin, Prière pour tous, Dicté après Juillet 1830, A la Colonne, etc. Lamartine, les Laboureurs dans Jocelyn.
  3. Sainte-Beuve, la Rime. Th. de Banville, Traité de prosodie française (1872).
  4. xxxC’est Vénus | tout entière || à sa proie | attachée. (Racine.)