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l’époque romantique.

À côté de Victor Hugo, se plaçaient Deschamps et Sainte-Beuve.

Deschamps[1], romantique de la première heure, essayait de concilier le principe de l’originalité personnelle, et celui de l’imitation des Espagnols, Allemands et Anglais. Il insistait sur la nécessité de l’aire du nouveau, en cultivant les genres où les classiques étaient restés inférieurs, l’épique surtout et le lyrique. Il affirmait que la raison d’être, l’essence du romantisme, c’était d’être la poésie, dont la littérature française s’était déshabituée au siècle précédent. Il développait enfin l’importance de la technique.

Sainte-Beuve, venu au romantisme en 1827, s’attachait à deux idées principalement dans son Tableau de la poésie au xvie siècle[2] et dans ses Pensées de Joseph Delorme[3]. Il s’efforçait de légitimer le romantisme, en lui donnant une tradition et des ancêtres : Chénier, depuis 1819, était trouvé ; Sainte-Beuve exhuma le xvie siècle ; entre Régnier et Chénier, il enserrait l’âge classique, qui avait interrompu le développement spontané du génie français. En outre, Sainte-Beuve s’appliquait à faire du romantisme une révolution surtout artistique : depuis Chénier, on avait « retrempé le vers flasque du xviiie siècle ». Et ici, il avait de la peine à faire rentrer Lamartine dans le cadre où il enfermait la poésie contemporaine. Mais il n’en restait pas moins dans sa doctrine une grande part de vérité : surtout prise comme conseil et leçon, elle était excellente.

Contre ces romantiques, bataillaient les critiques de l’école classique. Un seul doit nous arrêter : Désiré Nisard,[4] qui donna, en 1833, son violent manifeste contre la littérature facile, où il prenait à partie la brutalité convenue des romans, et le pittoresque plaqué des drames. L’Histoire de la Littérature française[5], que Nisard publia de 1844 à 1849, est d’un bout à l’autre une réponse aux théories romantiques. C’est une œuvre de combat, venue après la défaite : œuvre d’un esprit vigoureux et pénétrant, mais systématique, partial, fermé à tout ce que son parti pris ne l’autorise à comprendre, juge délicat des œuvres qu’il se reconnaît le droit d’admirer. Sur un point, Nisard convient avec ses adversaires : il fait la guerre au xviiie siècle. Mais c’est l’individualité qu’il y pour-

    qui contenait le poème du Parricide (1823) : bel exemple du naufrage complet d’une grande réputation littéraire.

  1. Muse française : Sur les romances du Cid (1823) ; la Guerre en temps de paix (1824). Préface des Études françaises et étrangères (1828). Sur la nécessité d’une prosodie.
  2. 1828.
  3. 1829.
  4. D. Nisard (1806-1884) écrivit aux Débats et au National, professa au Collège de France et à la Sorbonne, et fut, de 1857 à 1867, directeur de l’École normale supérieure. Il avait d’abord été favorable à V. Hugo.
  5. 13e éd., 4 vol. in-18, 1880, Didot. — Le 4e volume a été ajouté en 1861