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le mouvement romantique.

Le romantisme, à ses débuts, fut tout monarchique et chrétien : Chateaubriand avait établi entre l’idéal artistique et les principes pratiques une confusion qui égara les premiers romantiques : épris du moyen âge chrétien et féodal, ils s’estimèrent obligés d’être en leur temps, réellement, catholiques et monarchistes. Ils le furent aussi, par opposition aux disciples du xviiie siècle, qui, retenant le goût de Voltaire ou de Condorcet, en professaient les idées ; comme le même siècle avait produit Mérope et le Dictionnaire philosophique, on le haïssait ou l’aimait en bloc : les libéraux se croyaient tenus d’être classiques, et les romantiques chantaient le trône et l’autel. En réalité, ce classement résultait d’un malentendu. Le romantisme en son fond était révolutionnaire et anarchique : on ne tarda pas à s’en apercevoir. Nous assisterons à l’évolution politique de V. Hugo et de Lamartine ; et même avant 1826, l’abbé de Frayssinous avait reconnu la liaison des doctrines classiques aux principes conservateurs[1].


3. LE CÉNACLE. LA PRÉFACE DE « CROMWELL ».


On ne saurait aussi s’empêcher de dire que l’explosion du romantisme fut la conséquence de ces causes insaisissables qui firent apparaître presque simultanément de puissants talents. Ce qu’on appelle le hasard donna alors Hugo, Lamartine et Vigny. Casimir Delavigne venait de rimer ses Messéniennes et N. Lemercier venait de manquer sa colossale Panhypocrisiade, quand Lamartine, du fond de sa province, apporta ses Méditations où l’on reconnut d’abord un grand poète (1820). Cependant Vigny, dans ses loisirs de garnison, composait ses Poèmes, qui parurent en 1822. Le romantisme élégiaque et fiévreux, le romantisme philosophique et symbolique étaient nés. Mais il n’y avait pas d’école romantique : c’étaient deux manifestations isolées du génie poétique, et aucun des deux poètes, à cette heure, pas même Vigny, ne songeait à se poser en théoricien novateur ou révolté.

Victor Hugo donnait ses Odes (1822), toutes classiques dans leur éclatante rhétorique qui en faisait l’achèvement splendide du lyrisme selon la formule de J.-B. Rousseau, chefs-d’œuvre de virtuosité sans sincérité. Combinaison et facture des vers, choix d’images et artifices de construction, rien dans ce premier recueil

  1. Je trouve ce détail dans Pichot (Voyage hist. et pitt. en Angl.), Avant-Propos, t. I, p. 14, éd. de 1826.