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l’époque romantique.

romantique, restent l’intelligence avec la réflexion et les facultés discursives, et les vérités universelles d’ordre rationnel : deux choses que le romantisme laisse de côté. Psychologie et science, art de penser et art de raisonner, méthode exacte et logique serrée, c’est ce dont il ne s’inquiète guère, et c’était précisément tout ce qui faisait l’intérêt, la valeur, l’originalité du xviiie siècle, la meilleure moitié de ce qui faisait l’intérêt, la valeur, l’originalité du xviie siècle.

Mais ceci nous rappelle que quelque chose existait avant le romantisme, a été détruit par lui : nécessairement le romantisme s’est déterminé par rapport au classicisme. Pour être lui, il a dû se distinguer de ce qui était avant lui. Il s’est différencié, d’abord par négation, puis par antithèse.

Par négation, en supprimant les règles qui régissaient le travail littéraire. Ces règles étaient de trois sortes : les définitions des genres nettement séparés entre eux et sans communication ; les lois intérieures de chaque genre, qui faisaient prévaloir l’unité du type sur la diversité des tempéraments ; les préceptes du goût, qui limitaient l’artiste dans le choix des objets d’imitation et des procédés d’expression.

Par antithèse, en faisant le contraire de ce qu’avaient fait les classiques [1]. La littérature du xviiie siècle prenait pour modèles les anciens et le xviie siècle français : le romantisme leur substitue le moyen âge et les étrangers.

Ainsi le romantisme sera, en premier lieu, un élargissement, ou plutôt un déplacement du domaine littéraire ; ensuite, une refonte des formes littéraires, chaos d’abord, mais chaos d’où sortira vite une organisation nouvelle. Il nous donnera une poésie lyrique, une littérature pittoresque, une histoire vivante. Il brisera les formes trop arrêtées, trop fixes, qui ne se laissent plus manier par la pensée de l’artiste, ces habitudes tyranniques de composition et de style qui filtrent pour ainsi dire l’inspiration et éliminent l’originalité : en brisant les genres, les règles, le goût, la langue, le vers, il remettait la littérature dans une heureuse indétermination, dans laquelle le génie des artistes et l’esprit du siècle chercheraient librement les lois d’une reconstitution des genres, des règles, du goût, de la langue, du vers. En deux mots, le romantisme nous fait repasser de l’abstraction à la poésie, et, quoiqu’il ait pu sembler d’abord faciliter l’invention aux dépens de l’art, il ramène l’art à la place du mécanisme.

  1. Il faut noter que les classiques et les romantiques ne distinguent ni les uns ni les autres Boileau de Voltaire et Voltaire de Viennet : les classiques du xixe siècle se croient les représentants de l’art de Racine, et les romantiques jugent nécessaire de démolir Racine pour écraser M. de Jouy.