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l’époque romantique.

grand romantique. Il était Bourguignon, de la province qui nous a donné saint Bernard et Bossuet. Il appartint d’abord au monde, il se lit recevoir avocat ; il professa le voltairianisme. À vingt-deux ans, il entra à Saint-Sulpice, et se lit prêtre. Par une inspiration poétique autant que chrétienne, il prit en 1840 l’habit blanc de Saint-Dominique et fut en France le restaurateur de l’ordre : cela fournit à Guizot, en le recevant à l’Académie, l’occasion d’un éloquent morceau, sur le caractère du temps qui réunissait dans une paisible confraternité l’inquisiteur et l’hérétique.

Lacordaire, un instant l’allié de Lamennais, se soumit sans réserve, et resta ferme dans une obéissante orthodoxie. Mais il ne renonça point à ses tendances, à son désir de réconcilier l’Église et le monde moderne, le dogme et la liberté. Il avait compris que de lier le prêtre à l’autel, à ses offices en latin, à son cérémonial séculaire, à sa prédication traditionnelle des lieux communs sans date, c’était l’éloigner du peuple, c’était inutiliser, tuer l’Église et la religion, sous prétexte de ne pas les compromettre. Dans ses conférences de Notre-Dame et dans celles qu’il prêcha un peu partout, il jeta hardiment le catholicisme en pleine actualité. Il aborda toutes les questions politiques, sociales, philosophiques qui passionnaient les esprits, il parla de la démocratie, des nationalités, de la Pologne, de tous les sujets brûlants. Plus clairvoyant que les prélats qui s’inquiétaient de ses discours, il tâchait, en saisissant le plus vif des consciences, de rendre à l’Église la direction des consciences. Il essayait, plus modérément que Lamennais, et serrant toujours plus étroitement les liens qui l’unissaient au Saint-Siège à mesure qu’il effarouchait davantage le clergé français, il essayait de montrer que la solution chrétienne de tous les grands problèmes était libérale et démocratique.

Il n’était point profond ; ni l’exacte psychologie, ni la logique sévère n’étaient son fort. Il n’avait ni la richesse d’idées, ni l’ampleur de poésie de Lamennais ; son style avait plus de chaleur que de perfection artistique. Par son éloquence imagée, pathétique, abondante en grands mouvements, il remuait de forts et vagues sentiments au fond des cœurs : ses sermons faisaient des effets analogues à ceux que produisaient nos grands lyriques, lorsqu’ils entreprirent d’agiter, à l’aide de la poésie et du roman, les inquiétudes morales et sociales de leurs contemporains.

Lacordaire ressuscita aussi l’oraison funèbre, si avilie au xviiie siècle : il sut encore la réchauffer par l’actualité, unir, pour parler d’O’Connell ou du général Drouot, le sentiment national ou patriotique à la ferveur catholique.

Il y eut autour de Lacordaire, il y eut après lui d’éminents prédicateurs : le P. de Ravignan, un fin et séduisant jésuite ; l’abbé