Page:Lanson - Histoire de la littérature française, 1920.djvu/947

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
925
polémistes et orateurs.

de la philosophie par de vives allusions que l’auditoire saisissait au vol. Il déroulait tous les systèmes, et l’infini, en belles phrases harmonieuses et nobles, parfois élégamment nuageuses ; il inventait l’éclectisme, et coulait doucement dans le panthéisme. La révolution de 1830, qui le porta au pouvoir, l’arrêta sur cette pente, et, comme dit M. J. Simon, il changea de fièvre : il devint le philosophe de la bourgeoisie, gardien sévère des convenances morales, de la religion et de la propriété. La peur de la démocratie le jeta dans les bras des évêques, ce sont ses termes ; elle fit plus, elle en fit un évêque, impérieux catéchiseur et pasteur autoritaire. Expurgeant bravement ses cours et sa doctrine, il organisa le spiritualisme en Église philosophique ou philosophie d’État : têtu, jaloux, despotique, enveloppé de phrases magnifiques, dressant, à son profit, ses disciples au travail et à l’abstinence, il mena les philosophes de l’Université comme des moines, ou, selon son mot, comme un régiment ; il les rangea durement à leur office de conservation sociale, et fit d’eux les gendarmes chargés d’arrêter les idées subversives. Par lui, la philosophie cessa pendant un demi-siècle d’être un libre exercice de la pensée. Sur le tard, dans les loisirs que lui fit l’Empire, son imagination se réveilla, voluptueuse, et l’on vit ce vieux prédicateur du catéchisme spiritualiste s’éprendre des jolies pécheresses du temps de Louis XIII et de la Fronde. Il écrivit sur la société du xviie siècle des études, toujours oratoires et passionnées, souvent arbitraires et inexactes, qui eurent le grand mérite de faire connaître bien des documents ignorés et curieux. Il était bibliophile, amoureux de rares bouquins, fureteur de paperasses inédites ; il dut à ce goût une trouvaille précieuse : il aperçut le vrai texte des Pensées dans le manuscrit jusque-là négligé, et, le premier, il nous rendit tout Pascal.

Moins éclatant et moins tapageur fut renseignement de Jouffroy [1] disciple de Cousin, et tout le contraire de Cousin : grave, sobre, précis, intérieur, contenant son émotion, détaché du christianisme avec angoisse, et reconquérant douloureusement les

    de Mme  de Longueville, 1853, in-8 ; Mme  de Sablé, 1854, in-8 ; la Duchesse de Chevreuse, 1856, in-8 ; Mme  de Hautefort, 1856, in-8 ; la Société française au xviiie s., 1858, 2 vol. in-8 ; Mme  de Longueville pendant la Fronde, 1859, in-8 ; la Jeunesse de Mazarin, 1865, in-8. — À consulter : P. Janet, Victor Cousin’et son œuvre ; J. Simon, V. Cousin (coll. des Gr. Écr. fr.), 1887, in-16 ; H. Taine, Philosophes français au xixe s.

  1. Biographie : Th. Jouffroy (1796-1842), suppléant de Royer-Collard à la Sorbonne en 1830, professeur au Collège de France, député de 1831 à 1838. — Éditions : Mélanges philosophiques, 1833, in-8 ; Nouveaux Mélanges, 1842, Cours de droit naturel, 3 vol. in-8, 1835-42. Cours d’esthétique, in-8, 1843. — À consulter : H. Taine, Philosophes français au xixe siècle.