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polémistes et orateurs.

Il est très respectueux du droit de l’individu ; mais, comme les droits de tous les individus sont égaux, il ne peut trouver que dans l’association les solutions satisfaisantes de tous les problèmes. Son premier mémoire : Qu’est-ce que la propriété ? a fait beaucoup de fracas. « La propriété, c’est le vol. » Mais après ce début vient une analyse très forte des fondements et des conditions de la propriété, aboutissant à une conception que les collectivistes d’aujourd’hui estiment bien timide, conservatrice, et bourgeoise : Proudhon établit au lieu de la propriété la possession individuelle, transitoire, acquise par le travail, et répartie selon de plus justes proportions. Pour son anarchie, au fond, ce n’est rien d’effrayant ; pour chimérique, actuellement du moins, c’est autre chose : abolition de la tyrannie, démocratique aussi bien que monarchique ; plus de souveraineté ; association des individus, formation d’individus collectifs qui se juxtaposeront et s’associeront à leur tour. C’est un système d’organisation fédérale, mais qui a pour caractère l’abolition des divisions et par conséquent des intérêts politiques, l’établissement d’un ordre purement économique.

Un vaste orgueil de chef de secte, qui lui rendit l’accord impossible avec les autres groupes socialistes, une indifférence choquante en son temps pour les théories politiques, au point que, se détachant de la forme républicaine, il se montra tout prêt à réaliser sa doctrine par l’empire, contrepesèrent l’influence que le talent littéraire aurait pu donner à Proudhon : il occupa le public, inquiéta le pouvoir, et ne fit pas école.


2. ORATEURS PARLEMENTAIRES.


Il y eut sous les deux monarchies constitutionnelles un grand développement d’éloquence. Le système électoral, souvent modifié dans ses détails par des lois de circonstance, demeurait en général organisé, de façon qu’il ne laissait arriver à la Chambre que des bourgeois de la classe aisée, gens de belle tenue et d’intelligence cultivée, qui avaient le goût des idées claires et prenaient plaisir à suivre les exercices de la parole : la Chambre des pairs était, par définition même, une sélection des classes supérieures [1]. Le

  1. Inutile de distinguer les nobles des bourgeois ; le savoir-vivre et l’éducation, établissent, en dépit des préjugés et des rancunes, l’assimilation de la noblesse et de la bourgeoisie, en face du peuple. Au reste, les orateurs des prétentions nobiliaires, dans les deux Chambres, sont presque toujours des robins, c’est-à-dire des bourgeois, d’origine ou d’éducation. — À consulter : Chabrier, les Orateurs politiques de la France, 1888, in-16 ; J. Reinach, le Conciones français, Delagrave, 1893, in-12 ; Cormenin, le Livre des Orateurs, 1836, in-8.