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l’époque romantique.

sances sur M. le Maire et de taquineries au curé, éclate cette jolie note champêtre : « Les rossignols chantent et l’hirondelle arrive. Voilà la nouvelle des champs. Après un rude hiver et trois mois de fâcheux temps, pendant lesquels on n’a pu faire charrois ni labours, l’année s’ouvre enfin, les travaux reprennent leur cours. » Ses paysans, ses vignerons, amoureux de la terre, laborieux, rudes et simples, ont une sorte de grâce robuste qui évoque l’image des laboureurs attiques de la Paix : et lui-même s’est composé son personnage à demi idéal de vigneron tourangeau, tracassier, processif et bonhomme, d’une façon qui rappelle le talent des logo-graphes athéniens à dessiner les figures de leurs clients. Le, défaut de Courier, c’est qu’on sent trop cet art, et l’effort de l’écrivain : nous aimerions un peu plus d’abandon ; et pourtant, en son genre, il fut un vrai artiste, et tout à fait original.

J. de Maistre et P.-L. Courier sont diversement, mais également classiques : Lamennais [1] est un romantique, fils de Rousseau et de Chateaubriand ; le baron de Vitrolle lui disait que son génie était enfant de la tempête. Au milieu de l’incrédulité révolutionnaire, Lamennais avait gardé sa foi : à vingt-deux ans, il faisait sa première communion, avec une grave simplicité de petit enfant. Mais s’il se sentait chrétien, il ne voulait pas être prêtre ; il se fit ordonner sous la pression de son directeur et de son frère, dans une angoisse profonde. Il se révéla par un livre qui le plaça pour son début aux côtés de Chateaubriand et de J. de Maistre : l’Essai sur l’indifférence en matière de religion. Il y combattait avec une âpre éloquence, à grands coups de logique et d’imagination, l’athéisme politique, celui qui fait de la religion un instrument de despotisme pour lier le peuple, le déisme, qui croit fonder une religion dite naturelle sur la seule raison, le protestantisme et toutes les doc-

  1. Biographie : Hugues-Félicité-Robert de La Mennais (1782-1854), né à Saint-Malo, prêtre en 1816, fonda avec Chateaubriand, Villèle et Bonald le Conservateur. Il avait, dans un premier voyage à Rome en 1824, refusé le chapeau de cardinal que lui offrait Léon XII ; en 1832, Grégoire XVI le condamna. Les Paroles d’un croyant furent écrites en 1833, en quelques jours, à la Chesnaie, près de Dinan, où il s’était retiré. Il eut sous la Restauration et sous la monarchie de Juillet de retentissants procès de presse. Après la révolution de 1848, il fonda un journal, le Peuple constituant, et fut élu député : il n’eut pas d’influence. Il mourut sans se réconcilier avec l’Église. — Éditions : Essai sur l’indifférence en matière de religion, 4 vol. in-8, 1817-1823 ; Paroles d’un croyant, 1834, in-8 ; Affaires de Rome, 1836. in-8 ; Esquisse d’une philosophie, 4 vol. in-8, 1841-1846 ; Amschaspands et Darvands, 1843, in-8. Œuvres complètes, Paris, 1836-1837. 12 vol. in-8 ; Correspondance, pub. par E. Forgues, 1865, 2 vol. in-8 ; Œuvres posthumes, pub. par A. Blaize, 1866, 2 v. in-8. Lettres inétdites à Montalemhert, publ. par G. Forgues, 1898. Lettres à Benoit d’Azy, p. p. Aug. Laveille, 1898. — À consulter : Sainte-Beuve, Portraits. Renan, étude en tête du Livre du Peuple. Spuller, Lamennais, Hachette, 1892. P. Janet, la Philosophie de Lamennais, Revue des Deux Mondes. 1889, 1er févr., 1er et 15 mars. F. Brunetière, Lamennais, Revue des Deux Mondes. 1er février 1893. A. Roussel (de l’Oratoire de Rennes), Lamennais, d’après des doc. inéd., Paris, 2 vol. 1893 ; Lamennais intime, 1897 ; Boutard, Lamennais, sa vie et ses doctrines, 1905-1908, 2 vol.