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la littérature pendant la révolution et l’empire.

gnant d’allonger la main pour saisir le pouvoir, voulant mal de mort à tous ceux qui le saisissent, et portant de rudes coups parfois au régime qu’il prétend servir. Après 1830, il s’estima lié à la dynastie légitime par un devoir d’honneur. Il méprisait l’orléanisme, ses princes, sa politique, ses appuis : égoïsme partout et matérialisme. Il se plut à prédire, à remarquer l’essor de la démocratie qui allait venger la légitimité. Il acheva sa vie dans une noble attitude, en grand homme désabusé : la fière douceur d’un universel renoncement consolait un peu son lourd ennui ; il lui restait une réelle amie, Mme  Récamier, qui réunissait autour de lui, pour lui, dans son appartement de l’Abbaye au Bois, les gens les plus distingués ; il recevait de ce monde choisi par les soins d’une adroite femme le culte discret, lointain, fervent, qui convient aux grandeurs désolées. Il mourut le 4 juillet 1848 : il avait pris ses mesures à l’avance pour être enterré près de Saint-Malo, sur la pointe du rocher du Grand-Bé ; il voulait dormir du sommeil éternel au bruit des mômes flots qui avaient bercé son premier somme, séparé même dans la mort de la commune humanité, et visible, en son isolement superbe, à l’univers entier.


2. LE CARACTÈRE ET L’ESPRIT.


M. de Chateaubriand est une âme solitaire : il l’est et par nature et par éducation et par vocation artistique. D’une prédisposition naturelle, les circonstances, le milieu firent un caractère déterminé, d’où la réflexion dégagea une « pose » solennelle. Dans une âme solitaire, il y a d’abord presque toujours une personnalité féroce, incapable de se limiter, de se subordonner, de renoncer à soi. La bizarre enfance de Chateaubriand l’a accoutumé à ne rien compter au-dessus de son sentiment propre. Sous le despotisme farouche de son père, rudoyé, glacé, il a vécu libre pourtant, ramassé en lui-même, physiquement dépendant et contraint, jamais troublé dans l’exploitation égoïste de l’univers que s’appropriait déjà intérieurement sa petitesse. Il ignorera toujours la douceur de se donner et de se dévouer. Il aura des tendresses délicieuses : il aimera ses amitiés et ses amours, c’est-à-dire lui-même ami et amant, infiniment plus que ses amis ou ses aimées ; il s’aimera

    dance, 1887, in-8 ; Mme  de Chateaubriand, Lettres inédites à M. Clausel de Coussergues, 1888. Comte d’Haussonville, Souvenirs, 1885. Chédieu de Robethon, Chateaubriand et Mme  de Custine, 1893, in-18. Bardoux, la Comtesse de Beaumont, C. Lévy in-8, 1884 ; Chateaubriand (Classiques Populaires), 1893, in-8. De Lescure, Chateaubriand (Coll. des Gr. Ecriv. fr.), Hachette, in-18, 1892. E. Faguet, xixe siècle. A. France, Lucile de Ch., ses contes, ses poèmes et ses lettres, 1894. G Bertrin, la Sincérité religieuse de Chateaubriand, 1900. J. Bédier, Chateaubriand en Amérique, Rev. d’hist litt., 1899, 1900, 1901. V. Girand, Chateaubriand, études littéraires, 1907.