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madame de staël.

Quant à la religion, Mme de Staël a commencé par l’indifférence, par le voltairianisme : elle n’a pas du tout l’accent religieux de Rousseau. Ce qui lui fera comprendre Rousseau, ce seront les Allemands : elle deviendra, dix ans avant sa mort, une chrétienne fervente, hors de toute église et de toute confession : le duc de Broglie définira son état « un latitudinarisme piétiste », c’est-à-dire un protestantisme libéral, très indépendant, très peu théologique, plutôt mystique ; cette religion est à la fois très rationnelle et très sentimentale. Toute son âme s’intéresse dans sa croyance, et la crise d’où elle soit « convertie » l’achève plutôt qu’elle ne la change. Son acte de foi est un acte hardi d’idéalisme romanesque : elle objective son enthousiasme. Dieu lui est nécessaire, afin que son effort vers le bonheur n’ait pas été vain. Dieu, en son infinité, est bien cet objet d’amour infini qu’elle a cherché à travers tant d’expériences douloureuses. Puis elle s’est aperçue que sa philosophie était insuffisante : que l’art d’ennoblir la vie par des passions nobles n’était pas une règle suffisante de vie, que le plaisir, même le plaisir de la pitié, n’était pas la vertu ni un fondement solide de vertu ; et Kant lui a offert son postulat du devoir. Mais, en femme qu’elle reste toujours, l’impératif catégorique ne peut rester en elle à l’état de commandement intérieur, abstrait et formel : il faut qu’il se réalise ; et du devoir, Mme de Staël passe à Dieu. Du jour où son esprit au-dessus du sentiment, conçoit la loi morale, elle est chrétienne. Et la foi, chez elle, donne satisfaction à la raison : Dieu est pour elle la lumière qui éclaire l’univers et la rend intelligible. Dieu donnait à son esprit l’infini de la science comme à son cœur l’infini de l’amour.


3. IDÉES LITTÉRAIRES DE Mme DE STAËL.


Le rôle de Mme de Staël, en littérature, fut de comprendre, et de faire comprendre. S’adressant à l’intelligence de ses contemporains, elle l’oblige à s’instruire, elle lui apporte des idées qui l’élargissent ; elle légitime par toute sorte de fines considérations les aspirations nouvelles dont les âmes étaient tourmentées, et auxquelles le goût traditionnel refusait le libre passage dans la littérature. Elle pose ainsi les principes d’un goût nouveau, conforme aux nouveaux états de sensibilité dont nous avons parlé.

L’ouvrage intitulé De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (1800) est un curieux livre, confus, plus clair dans le détail que dans l’ensemble, naïf parfois jusqu’à la puérilité, mais, à tout prendre, original, suggestif, un livre intelligent enfin : il y a des chefs-d’œuvre auxquels on hésiterait à donner cette simple épithète. Il y aurait fort à dire sur le dessein