CHAPITRE III
MADAME DE STAËL
Mme de Staël et Chateaubriand ont cru n’avoir pas grand’chose de commun. En réalité, malgré l’opposition de leurs tempéraments et de leurs principes, ils ont poussé tous les deux la littérature dans le même sens. Mme de Staël a fourni au. romantiques des idées, des théories, une critique : de Chateaubriand ils ont reçu un idéal, des jouissances et des besoins ; elle a défini, il a réalisé.
Mme de Staël[1] appartient au xviiie siècle, elle est le xviiie siècle vivant, le xviiie siècle tout entier : car les courants les plus contraires se rassemblent en elle sans s’affaiblir. Elle est fille de Rousseau, par l’intensité de la vie sentimentale. Elle a l’imagination troublée et fiévreuse, le cœur ardent, tumultueux, d’où jaillit une inépuisable source de passion. Elle a l’égoïsme généreux, une soif
- ↑ Biographie : Germaine Necker, née en 1766, figure dès l’âge de onze ans aux réceptions de sa mère. Son esprit se forme à entendre Raynal, Thomas, Grimm, Morellet, Suard, Buffon, etc. Elle épouse en 1786 le baron de Staël, ambassadeur de Suède. Elle accueille d’abord la Révolution avec joie et avec foi ; son salon est le lieu de réunion des amis de la constitution anglaise, Mounier, Malouet, Clermont-Tonnerre, Montmorency ; mais, en sept. 1792, elle est forcée de se réfugier à Coppet, au bord du lac de Genève. Elle rentre à Paris en 1795, et son salon est très fréquenté : Daunou, Cabanis, Garai, Rœderer, M.-J. Chénier, B. Constant surtout, y sont assidus. Suspecte au Directoire, elle est obligée de retourner à Coppet, d’où elle revient en 1797. Elle vie d’abord en paix avec Bonaparte ; elle ne rompt pas encore après le 18 Brumaire ; mais c’est chez elle que B. Constant prépare en janvier 1800 le discours où il dénonce au Tribunal l’aurore de la tyrannie. Dès lors, la rupture est certaine quoique dans sa Littérature (1800) elle semble mêler encore les avances aux allusions malignes. Son salon est le premier de Paris en 1802 : autour d’elle