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la littérature pendant la révolution et l’empire.

d’Austerlitz, pour que l’on réponde : Voilà un brave. » — « Vous pourrez dire avec orgueil : Et moi aussi je faisais partie de cette grande armée, qui », etc. Le cliché est magnifique, et saisissant : et l’on voit l’effet s’élargir de proclamation en proclamation jusqu’à ce dernier mouvement.

Dans ces brèves harangues, deux parties sont capitales, le premier mot et le dernier : l’attaque est merveilleuse de brusquerie et de sûreté. « Soldats, vous êtes nus, mal nourris… Soldats, je suis content de vous… Soldats, nous n’avons pas été vaincus. » On est secoué et pris. Et la fin, comme elle laisse l’âme vibrante ! « Soldats d’Italie, manqueriez-vous de courage et de constance ? » — «… Et alors la paix que je ferai sera digne de mon peuple, de vous et de moi. »

Le fond est ce qu’il faut qu’il soit : des idées nettes, simples, immédiatement accessibles, des sentiments communs, réels, immédiatement évocables ; l’honneur, la gloire, l’intérêt ; de vigoureux résumés des succès et des résultats obtenus, de rapides indications des résultats et des succès à poursuivre, des communications parfois qui semblent associer l’armée à la pensée du général et la flattent du sentiment d’être traitée en instrument intelligent : toutes les paroles qui peuvent toucher les ressorts de l’énergie morale, sont là, et sont seules là.

Parfois, au lieu des images banales du répertoire commun, la nature originale de l’individu éclate. L’allocution du 1er janvier 1814 aux députés du Corps Législatif est d’un ton singulier : volontairement l’orateur lâche sa colère en petites phrases hachées, brutales, même triviales : « M. Lainé, votre rapporteur, est un méchant homme… Je suis de ces hommes qu’on tue, mais qu’on ne déshonore pas… Qu’est-ce que le trône au reste ? Quatre morceaux de bois revêtus d’un morceau de velours. Tout dépend de celui qui s’y assied… Il faut laver son linge en famille. » Remettez tout cela à sa place, écoutez cette sortie si curieusement violente, et vous sentirez quelle science de l’effet il y avait chez cet homme-là.

Vous avez noté l’image grandiose qui nous montre le trône : elle sort d’une imagination qui n’est plus celle du xviiie siècle, ni formée à l’école de l’antiquité. Cela, c’est du Shakespeare — tel que le comprenait Hugo et qu’il en faisait. Même dans les bulletins, malgré la tension plus solennelle du style, dans ceux surtout des dernières campagnes, je note quelques pensées d’une imagination pareille. On se sent tout près de Hugo, bien plus près de Hugo que des Montagnards et du Conciones quand on lit des phrases comme celles-ci : « La victoire marchera au pas de charge ; l’aigle… volera de clocher en clocher jusqu’aux tours de Notre-