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la littérature pendant la révolution et l’empire.

apôtres de la perfectibilité de la raison humaine. Mais les rédacteurs sont des esprits curieux, très au courant du mouvement scientifique ou littéraire, en France et à l’étranger. Par la Décade se propageront le goût et la connaissance des littératures anglaise et allemande : elle entretient ses lecteurs d’Young. Gibbon, Ossian, de Gœthe, Schiller, Kotzebue, Wieland. Elle leur parle d’Alfieri, elle leur présente Melendez Valdez. Et ainsi ce journal aura sa part d’influence dans la formation du courant romantique, qui apportera un goût si contraire à ceux de ses rédacteurs ordinaires. Le Journal des Débats, créé en 1789, prit un grand développement à partir de 1799, où il passa aux mains des Bertin ; il fit une large place à la littérature, et là, comme en politique, il représenta surtout les opinions, le goût, les aspirations de la classe bourgeoise. Il fut libéral et classique.

Certains journalistes apportèrent dans leur besogne de belles qualités littéraires. Ce sont d’abord quelques survivants de l’ancienne société et de la philosophie encyclopédique, qui écrivent en général dans les feuilles contre-révolutionnaires : Suard, Rivarol, Mallet du Pan [1] surtout, qui a plus de pensée sous sa forme nette et mordante. André Chénier écrivit au Journal de Paris des articles vigoureux, où l’on voit qu’à ses dons de poète il unissait une réelle puissance oratoire. Mais le talent original et personnel qui appartient uniquement au journalisme révolutionnaire et qui le représente dans la mémoire du public, c’est Camille Desmoulins [2].

Ce journaliste était né écrivain. Ses Révolutions de France et de Brabant, son Histoire des Brissotins, son Vieux Cordelier, ses lettres offrent un intérêt littéraire qu’on trouve rarement parmi les écritures de ce temps-là. Cela vaut par l’ironie acérée, par la netteté des formules dans le décousu du développement et l’incertitude de la pensée générale, par l’esprit qui revêt la violence, par un accent de passion sincère où la déclamation emphatique et les souvenirs classiques mettent seulement la date.

  1. J.-B.-S. Suard (1733-1817), journaliste, censeur dramatique, académicien en 1774, proscrit au 18 Fructidor, revint à Paris après le 18 Brumaire. — A. Rivarol (1753 1801) se fit connaître par son Discours sur l’Universalité de la langue française (1784). Il combattit la Révolution dans le Journal politique national et dans les Actes des apôtres. Cf. A. Lebreton, Rivarol, sa vie, ses idées, son talent, Paris, 1896, in-8. — J. Mallet du Pan (1749-1800), Genevois, collabora au Mercure de Panckoucke. Il était royaliste constitutionnel. Il émigra après le 10 août 1792. Mémoires et correspondance pour servir à l’histoire de la Révolution française ; publ. p. A. Sayous, 1851, 2 vol. in-8.
  2. C. Desmoulins (1760-1794), né à Guise, fit son droit, prit une part active aux mouvements populaires de la Révolution, se fit journaliste, fut élu député de Paris à la Convention, et devint secrétaire général de Danton, ministre de la justice. Il fut guillotiné le 5 avril 1794, avec Danton et ses amis. — Œuvres, 1828, 2 vol. in-8. Correspondance inédite, in-8. 1836.