ne tarda pas à s’inquiéter, à s’indigner : il était monarchiste constitutionnel, il avait Jacobins et Girondins en exécration. Il donna cours à ses sentiments dans les Iambes : la haine de ceux qui gouvernaient, l’horreur des massacres et des supplices, le mépris de la légèreté égoïste des victimes, la révolte d’une âme qui aspire à vivre et à agir encore, d’âpres malédictions, d’amères défiances, des fiertés hautaines, de douloureux désespoirs, tout le contenu de ces poèmes, comme leur forme, nous mène bien loin de la satire didactique de Boileau, de la satire épigrammatique de Voltaire, de la satire oratoire de Gilbert. Par les Iambes, la satire retrouve son caractère lyrique.
André Chénier a un rôle particulier dans l’histoire de la versification française. On en a fait parfois à tort l’inventeur des rythmes romantiques. Non : pas plus ici que par l’inspiration, il n’est romantique. Mais il n’est pas non plus un pur classique : l’art de Boileau, les règles de Voltaire ne lui suffisent pas ; et voici ce qu’il fait : il répète pour son compte la tentative de Ronsard, sans s’en douter, pour la même raison et de la même manière que Ronsard. Il est grec lui aussi, et grand humaniste : aussi tente-t-il une imitation serrée de la technique des anciens. On peut reconnaître à chaque moment dans son style, dans le choix d’une épithète, dans certaines métaphores et figures, un emploi systématique des procédés d’élocution qui sont familiers aux poètes grecs et latins.
Il a fait de même dans sa versification. Il a même, comme Ronsard, et avec le même succès, tenté l’ode pindarique ; une de ses odes offre la strophe, l’antistrophe et l’épode. Son ode sur le serment du Jeu de Paume, avec ses 22 strophes de 19 vers, toutes identiques par la succession des mètres, et présentant toutes le même dessin compliqué, est une pièce massive et manquée, comme l’ode à l’Hôpital. L’humanisme de Chénier l’a conduit aux mêmes excès qui avaient perdu Ronsard. Il a été mieux inspiré quand il a importé l’ïambe : à vrai dire, ce n’était pas une forme tout à fait nouvelle ; à ne compter que le nombre des syllabes, les Adieux de Gilbert à la vie offrent précisément le même mètre. Mais Gilbert distribue ses ïambes en distiques, et assemble les distiques en quatrains. Dans André Chénier, le rythme est libre et délié : la pensée se déroule à travers les alexandrins et les octosyllabes, sans autre loi ni mesure que leur régulière alternance.
Nous touchons ici à la grande innovation qu’il a tentée dans la versification. Avant lui, les poètes classiques ont tendance à faire coïncider les coupes rythmiques et les coupes grammaticales : ils évitent l’enjambement, soit de vers à vers, soit de strophe à strophe ; autant que possible ils enferment un sens complet