teurs, à peine distinct par un air original de bonté attendrie, sans emphase et sans fadeur : voilà pour ses poésies ; pour son théâtre, il ne s’est sauvé de l’oubli que par le ridicule.
Il a rogné les drames de Shakespeare avec d’impitoyables ciseaux sur le patron de Voltaire : il y a retaillé des tragédies à la française, creuses, sentencieuses, sentimentales, avec tous les agréments traditionnels, billets, travestis, méprises, conspirations, songes, confidents. Ophélie est une princesse de tragédie, fille de Claudius, afin que l’amour et la nature déchirent le cœur du sensible Hamlet. Un banal édit forme un obstacle pour séparer les deux amants, avant les révélations du spectre. Plus de comédiens, bien entendu, et plus de pantomime : presque plus de monologue ; à peine quelques traits de cette admirable méditation surnagent. Plus de fossoyeurs ni de crânes. Au dénouement, une sédition où Hamlet tue Claudius : et Gertrude se tue, pour éviter un parricide au sympathique jeune premier. Et Roméo ! Plus de frère Laurent, plus d’alouette aussi : en revanche Dante est appelé à corser Shakespeare : Montaigu en prison dévore ses quatre fils ! Juliette et son Roméo sont un couple quelconque, des amis d’enfance ; Roméo élevé près de Juliette sous un faux nom : et quand nous le voyons, le doux, le tendre, le poétique enfant de Shakespeare est un « guerrier redoutable », un général vainqueur, enfin l’insipide héros cent fois revu. Il semble même que nous rétrogradions à Timocrate : Roméo, en sa vraie qualité de Montaigu, tue le fils de Capulet, et Capulet, pour venger son fils, s’adresse à Roméo, son fils adoptif sous le nom de Dolvedo. Voltaire ici est dépassé. Voici lady Macbeth : elle s’appelle Frédegonde. Selon la poétique établie depuis Crébillon, Malcolm, fils de Duncan, est cru fils d’un simple montagnard. Pas de sorcières, sauf dans une timide variante. Othello s’expédie en vingt-quatre heures. Othello et Hédelmone (nom plus classique sans doute que Desdémone) ne sont pas mariés. Un amoureux qui a en effet des entretiens secrets avec Hédelmone donne de la jalousie à Othello : l’action est réduite à une rivalité d’amour, et l’intrigue est un long quiproquo, comme dans Zaïre. Iago, ce terrible Iago que Ducis admirait, a disparu. Le teint d’Othello est éclairci. Plus de mouchoir, mais un billet. Un noble poignard remplace le trivial oreiller. Enfin le dénouement est à volonté : une variante marie les deux amants, pour la satisfaction des âmes sensibles.
Pour le style de Ducis, en voici le son :
C’est un de ces mortels qui. dans l’obscurité,
Par de mâles travaux domptent l’adversité.