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la littérature française et les étrangers.

produit par l’intermédiaire des journaux de Hollande [1], très curieusement rédigés par des réfugiés français que leurs idées politiques et religieuses disposent à prêter grande attention à toutes les œuvres qui viennent d’Angleterre. Puis s’établissent les rapports directs entre les pays, voyages d’écrivains anglais en France, français en Angleterre [2]. On continue de traduire nos œuvres en anglais, nous traduisons les œuvres anglaises en français. Le pamphlet de J. Collier [3], le Spectateur d’Addison encouragent le goût de moralisation par lequel l’esprit laïque cherche à compenser le vide que laisse l’abolition de l’influence chrétienne. Marivaux, qui s’inspire d’Addison dans ses journaux, fournit par sa Vie de Marianne un modèle à Richardson, qui, traduit en français par l’abbé Prévost, sert à son tour de modèle à nos romanciers. L’originalité de Sterne fait une impression sensible sur Diderot. Notre théâtre subit l’action du théâtre anglais : Shakespeare peu à peu force les barrières de notre goût ; Voltaire, l’abbé Leblanc, Laplace, Letourneur, Ducis le font connaître [4], et il arrache parfois l’admiration d’une mondaine renforcée comme Mme Du Deffand. Il tire notre vide et froide tragédie vers l’action animée, pittoresque, violente. Le drame anglais [5], à qui La Chaussée ne doit pas grand’chose, exerce une sensible influence sur Diderot, Saurin et d’autres : il donne l’idée et le goût d’effets plus intenses, plus brutaux, d’un pathétique plus nerveux et plus matériel, d’une action plus familière, liant l’impression sentimentale à la minutieuse reproduction des détails de la vie domestique. Au moment où Rousseau remue si profondément les âmes de nos compatriotes, et celles de ses contemporains par toute l’Europe, l’Angleterre nous envoie Thomson, Young, Macpherson [6] : les Saisons de Thomson réveillent le goût de la nature chez nos mondains ; et nos spirituels peintres des choses champêtres, les Saint-

  1. Les Nouvelles de la République des Lettres de Bayle, l’Histoire des ouvrages des savants de Basnage de Beauval, les Bibliothèques de Leclerc, la Bibliothèque anglaise de M. de la Roche. Cf. Texte, ouvr. cité.
  2. Addison, Prior viennent en France. Voltaire, Montesquieu vont en Angleterre. Le Suisse Murait publie en 1735 ses Lettres sur les Français et sur les Anglais (son voyage avait eu lieu en 1694-1695). L’abbé Leblanc écrit de Londres ses Lettres d’un Français, 1745, 3 vol. in-12.
  3. Tr. par le P. de Courbeville, 1715, in-12 ; le Spectateur était traduit dès 1714.
  4. Le Théâtre anglais de Laplace paraît de 1745 à 1748, 8 vol. in-12 (les 4 premiers consacrés à Shakespeare) ; le Shakespeare de Letourneur paraît de 1776 à 1782, 20 vol. in-8.
  5. Steele, Colley Cibber, surtout Lillo et Moore.
  6. Les Saisons, poème trad. de l’anglais de Thomson par Mme Bontemps, 1760, in-12 ; les Nuits d’Young, tr. Letourneur, 1769 ; Ossian, de Macpherson, tr. Letourneur, 1776 ; les Méditations d’Hervey, tr. Letourneur, 1770. Le Paradis Perdu de Milton est traduit en 1729 (Dupré de Saint-Maur), et 1755 (L. Racine).