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les tempéraments et les idées.


2. BEAUMARCHAIS.


L’auteur de la pièce [1] est lui-même une des plus extraordinaires expressions du siècle. Dans un monde assujetti à la hiérarchie, où tous les compartiments sociaux subsistent encore, Beaumarchais nous fait assister au puissant et drolatique jaillissement de son individualité, qui passe par-dessus toutes les barrières et s’ouvre tous les mondes. Il part d’une boutique de la rue Saint-Denis ;

  1. Biographie : Pierre-Augustin Caron, né à Paris le 25 janvier 1732, fils d’un horloger, applique d’abord son esprit d’invention à l’horlogerie. Il acquiert en 1755 une charge de contrôleur dans la maison du roi, devient maître de harpe de Mesdames filles de Louis XV, puis s’anoblit en achetant le litre de secrétaire du roi (1761). Paris-Duverney l’intéresse dans quelques affaires, notamment dans une exploitation de forêts en Touraine. Il achète l’office de lieutenant général des chasses au bailliage et capitainerie de la Varenne du Louvre. Il était allé en Espagne (1764) pour défendre une de ses sœurs abandonnée par un certain Clavijo : de cette aventure il tire son premier drame, Eugénie (1767), suivi bientôt des Deux Amis (1770). Il s’était marié deux fois, avec deux veuves, en 1757 et en 1768, et les avait perdues après un an et deux ans de mariage. En 1770 commencent les procès qui vont lui donner la gloire : à propos de son règlement de comptes avec Paris-Duverney, mort le 17 juillet 1770, le comte de la Blache, petit-neveu et héritier du vieux banquier, accuse Beaumarchais de faux et lui réclame 139 000 livres : il perd en première instance, gagne en appel, et enfin, après cassation de l’arrêt d’appel, perd définitivement ; il est débouté, condamné sur tous les points, et en outre à des dommages-intérêts pour raison de calomnie. Entre temps Beaumarchais s’est mis sur les bras une affaire avec le duc de Chaulnes, qui l’a insulté, assommé, et qui, pour éviter un duel, le fait envoyer au For-l’Évêque. Il se fait un autre procès contre son rapporteur dans l’affaire La Blache, contre le conseiller Goëzman (1773). Cependant il fait jouer son Barbier de Séville (1775), écrit son Mariage de Figaro, qui ne sera joué qu’en 1784. Il court tous les chemins de l’Europe, chargé de missions secrètes en Angleterre, en Hollande, en Allemagne, pour procurer la suppression de pamphlets injurieux à Louis XV ou à Marie-Antoinette. Il entre en querelle avec les comédiens sur la question de ses droits d’auteur (1776), et provoque l’union des auteurs dramatiques pour la défense de leurs intérêts. Il est à la tête de l’édition des œuvres de Voltaire qui se publie à Kehl. Il se charge, avec l’assentiment et l’appui du ministère français, de fournir des armes aux insurgents américains, et reste, pour de fortes sommes, créancier des États-Unis. Après le succès du Mariage, il est mis pour quelques jours à Saint-Lazare, sans raison sérieuse, et relâché de même. Il entre dans une Compagnie des eaux de Paris, affaire qui le met aux prises avec Mirabeau ; puis il se lance en chevalier généreux dans l’affaire Kornman, où il ne retrouve pas le succès des Mémoires contre Goëzman. Il fait jouer en 1787 l’opéra philosophique de Tarare, en 1792 la Mère coupable. La Révolution le trouble, le dépasse, le ruine, le persécute : on le trouve chargé d’un achat de fusils en Hollande, puis emprisonné à l’Abbaye ; il est à la fois agent du comité de Salut publie et traité comme émigré ; sa famille est arrêtée, ses biens confisqués. Il vit quelque temps à Hambourg, rentre en France en 1796, et meurt en 1799.

    Éditions : Œuvres complètes, éd. Gudin de la Brenellerie, Paris, 7 vol. in-8. 1809. — À consulter : L. de Loménie, Beaumarchais et son temps, Paris, 1856, 2 vol. in-8. E. Lintilhac, Beaumarchais et ses œuvres, Paris, 1885, in-8 ; Beaumarchais inédit, Rev. des Deux Mondes, 1er mars 1893. A. Hallays, Beaumarchais, Hachette, in-16, 1807.