Page:Lanson - Histoire de la littérature française, 1920.djvu/794

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
772
les tempéraments et les idées.

gion : il a révélé à la masse des esprits moyens qu’ils n’avaient pas besoin de croire, qu’ils ne croyaient que mécaniquement, par préjugé, habitude et tradition : et c’était vrai. Ce rationalisme des âmes médiocres et fermées aux grandes conceptions comme aux grandes inquiétudes parait aujourd’hui à beaucoup de gens, même libres penseurs, bien étroit et bien inintelligent. Une critique plus large, plus profonde, plus juste, qui comprend les religions en dissolvant les dogmes, qui admire la fonction, l’efficacité, la beauté des croyances auxquelles elle retire la réalité de leur objet, une critique non moins rationnelle, plus scientifique et plus savante, plus respectueuse et plus bienveillante précisément à cause de cela, a remplacé la critique voltairienne. Mais il faut dire deux choses à la décharge de Voltaire : d’abord qu’il attaquait, non pas la religion idéale, mais l’Église de son temps ; et il est excusable de n’avoir pas compris celle-là en regardant celle-ci. Ensuite, que, sans Voltaire, Renan était impossible. Il a fallu nier avec colère avant de pouvoir nier avec sympathie. Il fallait que le pouvoir de l’Église fût détruit, pour qu’on pût rendre justice à la religion sans y croire. Il nous est facile d’honorer, parce que notre incroyance ne nous met plus en danger. Par ses indécences, ses injures, ses calomnies, son inintelligence, Voltaire nous a donné notre liberté, et a préparé notre justice.