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la lutte pihilosophique.

tous les objets de la pensée, sur toutes les parties de la société, les hommes qui adhéraient seulement à ce principe général, que la raison est toute-puissante et doit être souveraine.


3. QUELQUES PHILOSOPHES.


L’Encyclopédie s’ajouta aux efforts individuels et leur donna plus d’efficacité. Mais tandis que plus ou moins péniblement, à intervalles plus ou moins longs, ses lourds in-4o s’abattaient sur l’ignorance et les préjugés, les principaux collaborateurs suivaient chacun leur direction, manifestaient leur tempérament, combattaient, instruisaient dans leurs œuvres personnelles.

Nous devrons nous arrêtera Diderot, à Voltaire, à Buffon. Il y a quelques-uns de leurs contemporains qui eurent leur heure de gloire ou de tapage. Leurs personnes presque toujours sont plus intéressantes, plus représentatives, que leurs écrits ; et l’historien de la société a plutôt affaire à eux qu’à l’historien de la littérature. C’est le cas de Dalembert [1] mathématicien illustre, esprit indépendant, au-dessus de l’ambition et de l’intérêt, ami de son repos jusqu’à l’égoïsme, et jusqu’à renoncer à l’expression publique de ses idées, excitant les autres sous main à se compromettre, et gardant lui-même un silence prudent : critique étroit, fermé à l’art, à la poésie, philosophe intolérant, affolé de haine contre la religion et les prêtres ; écrivain lourd et pâteux, sans tact, d’une inélégance innée, et d’une sécheresse qui se dissimule mal par l’emphase et la fausse noblesse. Son œuvre littéraire paraît mince aujourd’hui, et ira, je crois, s’amoindrissant de jour en jour.

C’est le cas aussi de l’universel et médiocre Marmontel [2], l’auteur de Bélisaire et des Incas, deux insipides romans qui, en attirant sur lui les rigueurs de la Sorbonne et du Parlement, en firent un moment le représentant de la philosophie. Il fut le principal rédacteur des articles littéraires de l’Encyclopédie ; ni les connaissances ni le goût ne lui manquaient ; et le recueil de ces articles, qui forme les Éléments de littérature, est l’expression la meilleure que nous ayons du goût moyen du xviiie siècle. L’absence de génie est ici une garantie d’exactitude. Mais il n’y a en somme qu’une œuvre de Marmontel qui appartienne aujourd’hui à ce que j’ap-

  1. Jean le Rond, dit Dalembert (vers 1717-1783), enfant trouvé qui était fils de Mme  de Tencin, fut membre à vingt-trois ans de l’Académie des sciences. Il entra à l’Académie française en 1754, et en devint secrétaire perpétuel en 1772. Il refusa les offres de Catherine et de Frédéric qui l’appelaient en Russie et en Prusse. Œuvres littéraires, Paris, 1821, 5 vol. in-8.
  2. J.-F. Marmontel (1723-1799). Œuvres complètes, Paris, 1818, 19 vol. en 20 tomes. — À consulter : Lenel, Marmontel, 1902.