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les tempéraments et les idées.

mêmes de son génie, c’est le besoin de dire tout ce qu’il pense. Il n’y a pas pour lui moyen de vivre sans cela. Si disposé qu’il soit par sa vanité à être un plat courtisan, jamais il n’a pu tenir sa langue ni sa plume. Le gouvernement français se chargea de transformer cette inclination naturelle en un principe réfléchi de philosophie politique. Quand on songe que ni la Henriade, ni les premiers chapitres du Siècle de Louis XIV, ni même l’innocent Charles XII n’ont eu permission de paraître en France, que ce pouvoir, qui n’a rien empêché, a tout prohibé, on comprend que Voltaire, depuis la Lettre à un premier commis jusqu’au Siècle de Louis XIV, ait réclamé la liberté de penser et d’écrire.

Il semble bien que ce soit l’Angleterre qui lui ait révélé la science et le parti qu’on en pouvait tirer. Il l’embrassa surtout comme un moyen d’atteindre la religion et comme un moyen d’accroître le bien-être. Par ce dernier côté, il rattache sa curiosité scientifique à ses tendances épicuriennes ; et c’est encore un aspect très original, très moderne de ce complexe génie. Il comprit, avec son clair génie, les principes de la science et l'esprit de la méthode expérimentale. Mais il ne devint pas, il n’a jamais été véritablement homme de science, en dépit de ses essais et de ses travaux. Il était ennemi de la religion : et pourvu qu’une explication fût rationnelle, il l’acceptait aisément pour vraie, avec plus de fantaisie que de méthode. D’autre part, il était prompt à repousser sans vérification les expériences ou les théories qui choquaient ses multiples préjugés. Au reste, l’activité scientifique de Voltaire ne fut qu’un court épisode dans sa vie ; et l’ascendant de Mme  du Châtelet fut pour beaucoup dans la peine qu’il prit de vulgariser Newton. Ce n’est pas là qu’il faut chercher le libre, le naturel, le vrai Voltaire.

Il est, au contraire, authentique et complet dans ses « Lettres philosophiques, politiques, critiques, poétiques, hérétiques et diaboliques », comme il les appelait lui-même. L’Angleterre n’a pas fait Voltaire ; elle l’a, pour ainsi dire, allumé, et fait partir pour la première fois d’un seul coup en un prodigieux « bouquet ». Dans ces fameuses lettres se mêlent tous les éléments divers dont le voltairianisme se compose : revendication de la liberté de penser et d’écrire, souci de la prospérité matérielle et des commodités de la vie, curiosité littéraire, irréligion hardie, philosophie rationaliste, critique historique ou théologique, ironie qui exalte ici les vertus singulières d’une secte hérétique pour faire une niche à l’orthodoxie, et là crible indifféremment hérétiques et orthodoxes de traits meurtriers. Parmi les hardiesses des lettres philosophiques, on ne croirait guère aujourd’hui qu’une des plus remarquées, et qui fit le plus de scandale, ait été la révélation