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les formes d’art.

fabrique Sandras de Courtilz[1], plaisent par l’apparence vraie, par la prétention d’être vrais, par la conformité des faits qu’ils racontent avec les faits communs de la vie réelle, et même avec les faits particuliers de l’histoire.

La Bruyère, par ses Caractères, développa chez les lecteurs la curiosité du détail extérieur, des signes par lesquels l’homme intime se révèle. La comédie essaya bien de se mettre d’accord avec cette disposition des esprits ; mais la difficulté de représenter matériellement les formes de la vie, lieux, meubles, costumes, toutes ces choses où les mœurs générales et les tempéraments individuels mettent leur empreinte, paralysait l’effort des auteurs, dans l’état où était encore l’art de la mise en scène ; et tout le siècle s’écoule sans arriver à créer la pièce réaliste. Le roman, qui n’avait pas à figurer les choses, mais à suggérer l’image des choses, n’était pas limité de ce côté dans sa puissance, et ce fut encore une raison de la prépondérance qu’il prit.

Ainsi se prépara le roman de mœurs dont Lesage fut le créateur.


1. LESAGE ET SON « GIL BLAS ».


Lesage[2] vécut pauvre, obscur et digne. Il n’eut pas d’ambition. Il ne ressemble guère aux gens de lettres du xviiie siècle, si remuants, si désireux de s’étaler, d’occuper le monde de leurs personnes. Il n’aime pas les beaux esprits de son temps, raison-

  1. Les Intrigues amoureuses de la France ; les Mémoires du marquis de Montbrun, et surtout les fameux Mémoires de M. d’Artagnan, (réimpr., Paris, 1896, in-16), d’où sont sortis les Trois mousquetaires. Au même genre doivent se rapporter les Mémoires de la comtesse de M***, par Mme de Murat.
  2. Biographie : Alain-René Lesage, né à Sarzeau (Bretagne) en 1668, vint faire son droit à Paris, fut reçu avocat, se maria en 1694 ; rien jusqu’ici ne confirme la légende qui veut qu’il ait eu un emploi dans les fermes. Il écrivit pour vivre. Il travailla pour la Foire et pour les Italiens, fit des romans, traduits, ou imités, ou inspirés de l’espagnol, et divers recueils de genres très mêlés. En 1743, il se retira à Boulogne-sur-Mer, où il avait un fils chanoine ; il mourut en 1747. Il était devenu sourd d’assez bonne heure.

    Éditions : Lettres d’Aristénête (cette trad. est son premier ouvrage), 1695 ; Théâtre espagnol, 1700 ; le Diable boiteux, Paris, 1707 ; 3e édit., Paris, 1726 ; Turcaret, Paris, 1709 ; Théâtre de la Foire, 10 vol. in-12, 1737 ; Gil Blas, 2 vol. in-12, 1715 ; 3e vol., 1724 ; 4e vol., 1735 : complet, Paris, 1747 ; Guzman d’Alfarache, 1732 ; Estevanille Gonzalès, 1734 ; le Bachelier de Salamanque, 1736. Œuvres complètes : Paris, Renouard, 12 vol. in-8, 1821.

    À consulter : L. Claretie, Lesage romancier, d’après de nouveaux documents, Paris, in-8, 1890 ; E. Lintilhac, Lesage (Coll. des Gr. Écriv. fr.), Hachette, in-18, 1893 ; Barberet, Lesage et le théâtre de la Foire, Nancy, 1887. F. Brunetière, Histoire et littérature, t. II ; Études critiques, 3e série ; E. Faguet, xviiie siècle. — Pour tout le chapitre : A Lebretan, le Roman au xviiie siècle, 1898.