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les formes d’art.

liberté y jouit Marivaux. Il y avait les théâtres de la Foire, où le public venait s’amuser sans souci des règles, des traditions et des convenances [1] : bourgeois, seigneurs, princes s’y récréaient dans l’ordure des parades, la bouffonnerie des farces, l’irrévérence des parodies. Jalousés par l’Opéra, la Comédie-Française et les Italiens, qui ne s’entendirent jamais que contre eux, les théâtres des Foires Saint-Germain et Saint-Laurent furent vexés de mille façons, condamnés à ne pas chanter, ou à ne pas parler, ou à ne pas dialoguer, parfois fermés ou démolis, toujours fréquentés ; ils eurent leurs auteurs attitrés, diversement et inégalement illustres, Regnard, Lesage, Piron, Dominique, Vadé, Favart [2].

Un genre s’y créa, l’opéra-comique, comédie à ariettes, très analogue à notre vaudeville à couplets. L’opéra-comique sacrifiait forcément à l’actualité. Aussi se modela-t-il sur la comédie larmoyante ; et il en emprunta la sentimentalité, la niaise psychologie, l’optimisme attendri. On conçoit que la peinture des mœurs mondaines lui échappe : il se complaît au contraire dans les sujets populaires. Il s’approprie la paysannerie, qu’il traite avec une naïveté de convention, exclusive de la franche et fruste nature. C’est sur ces scènes de la Foire, et précisément en raison de leur humilité qui les soustrait aux lois de la littérature, que paraissent les premiers indices d’un goût nouveau, les premiers essais d’une représentation plus exacte des « milieux », des formes extérieures et des instruments matériels de la vie : dans cette voie, la Comédie Française alla à la remorque de l’opéra-comique et des Italiens. Mme Favart joua une paysanne en sabots et en jupe courte, avant que Mlle Clairon supprimât les paniers d’Électre. Voyez ces indications scéniques d’une parodie de Vadé :

« Le théâtre change et représente une veillée ou encreigne ; une vieille est occupée à filer au rouet, et s’endort de temps en temps, pendant lequel (sic) deux jeunes personnes quittent leur ouvrage pour jouer au pied de bœuf, et le reprennent quand la vieille

  1. À consulter : Frères Parfait, Mémoires pour servir à l’histoire des spectacles de la Foire par un acteur forain, 1743, 2 vol. in-12 ; Desboulmiers, Histoire du théâtre de l’Opéra-Comique, 1769, 2 vol. in-12 ; Lesage et d’Orneval, le Théâtre de la Foire, 1721-1737, 10 vol. in-12 ; Brazier, Chronique des petits théâtres, éd. d’Heylli, Paris, 1883, 2 vol. in-16 ; M. Drack, le Théâtre de la Foire, Didot, 1889, in-18 ; Font, l’Op. Com, aux xviie et xviiie s., 1894. M. Albert, les Théâtres de la Foire (1660-1789), 1900.
  2. Charles Simon Favart, né à Paris (1710), fils d’un pâtissier, auteur, puis directeur de l’Opéra-Comique, directeur des comédiens du maréchal de Saxe ; sa femme fut une des plus naturelles actrices du siècle. Œuvres principales : la Chercheuse d’esprit, 1741 ; les Amours de Bastien et de Bastienne, parodie du Devin de village, les Trois Sultanes, une des jolies comédies du temps. Il mourut en 1782. Théâtre, 1763-1772, 10 vol. in-8 ; 1813, 3 vol. in-12 (théâtre choisi) : Mémoires et correspondance littéraires, Paris, 1808, 3 vol. in-8.