Page:Lanson - Histoire de la littérature française, 1920.djvu/685

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
663
comédie et drame.

peuvent guère se rencontrer dans une seule race ou un seul siècle. Mais Diderot a raison de les reconnaître. Il a raison aussi d’insister sur la capacité philosophique du genre dramatique : plus la forme devient réaliste, plus il est nécessaire qu’une idée profonde, une conception générale des rapports naturels ou sociaux tirent hors de l’insignifiance pittoresque la représentation exacte des apparences. Il voit même la tragédie poétique, celle des Grecs.

Quel malheur que de tant d’idées originales et parfois remarquablement justes, Diderot n’ait su faire que deux pitoyables pièces ! Il ne faut pas en accuser seulement son manque de génie, et celui de tant d’auteurs qui ne réussirent pas mieux que lui. Les circonstances n’étaient pas favorables. L’esprit analytique du siècle était impropre à la création poétique, qui est un acte de synthèse. Mais surtout, sous peine de n’être qu’une tragédie plus grossière à l’usage du peuple [1] (ce que fut le mélodrame), pour être une espèce fixe et viable, le drame devait être un genre réaliste, d’un réalisme extérieur et sensible. Or nous verrons plus loin que ce réalisme-là ne put triompher au xviiie siècle des conditions littéraires et sociales qui lui faisaient échec.

Il semble qu’on en ait eu le sentiment : car, vers la fin du siècle, après les bruyants et multiples succès de la comédie larmoyante et du drame, on revient tout doucement à la comédie traditionnelle, à celle qui fait rire, ou y prétend. Ce qui semble rester, c’est un peu plus de largeur dans la conception du genre, et le droit de pousser l’impression jusqu’au sentiment et au pathétique ; ici encore on pourrait dire que Voltaire a exprimé la moyenne du goût de son temps. Nanine et l’Enfant prodigue peuvent servir à déterminer ce qui demeure incontestablement acquis dans les nouveautés qu’on a tentées. Mais, si l’on y regarde de plus près, il subsiste des idées, des exemples, des aptitudes, des germes : tout cela reparaîtra à son heure.


3. LES ITALIENS ET LA FOIRE.


La Comédie-Française était seule à jouer des tragédies : elle maintenait au besoin les auteurs dans la tradition. Mais, pour la comédie, elle avait des rivales, à qui elle ne put jamais imposer silence. Il y avait la Comédie-Italienne [2] ; et nous avons vu de quelle

  1. C’est bien ce qu’il devient avec Mercier. Théâtre, Amsterdam, 1778, 3 vol. in-8.
  2. À consulter : Frères Parfait, Histoire de l’ancien théâtre italien, Paris, 1753, in-12 ; Desboulmiers, Histoire du théâtre italien, 1769, 7 vol. in-12 ; Gherardi, le Théâtre italien (recueil), 1697-1700 ; Riccoboni, Nouveau Théâtre italien, 1728, 2 vol. in-12. Recueil des parodies du nouveau théâtre italien, Paris, 1738, 4 vol. in-12. N.-M. Bernardin, la Comédie italienne et le théâtre de la Foire, 1902.