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la tragédie.

s’en tint à des inventions extérieures qui ne modifiaient pas le fond traditionnel et la banale disposition de la tragédie. Il chercha à exciter l’intérêt par des moyens sensibles, par des particularités de décor et de costume. Il croyait avoir fait merveille d’avoir porté l’action dramatique hors du monde mythologique gréco-romain, de l’avoir promenée en Asie, en Afrique, en Amérique, de l’avoir ramenée en France, en plein moyen âge féodal et chrétien. Toutes les races et tous les siècles sont représentés dans son théâtre. On y voit même des spectres, et Voltaire croit avoir fait du Shakespeare ou de l’Eschyle pour avoir imaginé ces piteuses apparitions d’Eriphyle et de Sémiramis, si acerbement et si justement critiquées par Lessing. Montrer dans Brutus des sénateurs en robe rouge, faire tirer un coup de canon dans Adélaïde du Gueselin et y mettre le bras d’un prince du sang de France en écharpe, costumer Lekain en Tartare avec un grand arc à la main et de farouches plumes ondoyant sur un casque invraisemblable dans l’Orphelin de la Chine, voilà les inventions par lesquelles Voltaire remédie à la froideur de la tragédie. Il interprétait Shakespeare en librettiste d’opéra.

Il ne faut pas méconnaître un fait important : l’Opéra devient au xviiie siècle notre première scène. La pompe du spectacle, les machines, les costumes, tout l’éclat de la mise en scène flatte les yeux et amuse la frivolité du public mondain. Voltaire a subi, lui aussi, dès sa jeunesse, sous la Régence, la fascination de l’Opéra, qui flattait ses secrets appétits de vie heureuse et sensuelle. Il prit alors des impressions qui ne s’effacèrent jamais. De là son attachement à Quinault, et de là son effort pour établir à la Comédie Française la singularité des décorations, des costumes, et tout ce qui s’y pouvait transporter de la mise en scène de l’Opéra.

Il était à craindre que, la vérité mise à part et la nature, la tragédie n’eût plus d’autre objet que de présenter d’ingénieuses applications des règles. En dépit des inventions de Voltaire, elle se vidait d’idées. Il sentit plus ou moins obscurément le danger : il jeta dans le moule tragique ses idées philosophiques, et toutes les formules analytiques de la pensée abstraite. Il usa de la tragédie, comme de toutes les autres formes littéraires, pour répandre dans le public les conclusions de son rationalisme. Il me suffira de rappeler ici les traits d’incrédulité hardie dont Œdipe même était semé, l’esprit de libéralisme politique qui animait certaines parties de Brutus, la fameuse sentence de Mérope, où le droit divin est nié. Le sous-titre de Mahomet, le Fanatisme, indique la direction d’intention dont cette tragédie est sortie. Enfin, à quoi bon citer les Guèbres, Olympie, les Lois de Minos ? À partir de 1760, on compte les pièces qui ne sont pas avant tout des pamphlets phi-