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les origines du dix-huitième siècle.

corps, elle essaya d’y mettre en évidence toutes les marques de l’invention humaine et d’y rendre inutile l’hypothèse d’une action divine. Ce procédé de critique fut peut-être le plus efficace et le plus fatal à l’Église : et ce furent les théologiens qui l’enseignèrent aux philosophes.

Les protestants, qui prétendaient restaurer la primitive Église, avaient été amenés à faire la part du divin et de l’humain dans le corps des traditions chrétiennes, soit contre le catholicisme romain, soit contre les sectes rivales issues également de la Réforme. Ils avaient appelé à leur aide la philologie et l’histoire, pour discuter telle interprétation des Livres saints, établir l’origine de telle portion du dogme et de la discipline. Les catholiques avaient suivi les réformés sur ce terrain ; et l’on avait vu Bossuet, dans son Histoire des Variations, démontrer par la méthode historique le développement continu et divergent des doctrines réformées. Il avait montré — avec une pénétration peut-être imprudente — que toutes les pièces de la tradition se tiennent, que l’on ne peut commencer à refuser soumission à l’Église sans aller jusqu’à l’incroyance absolue, que la négation, logiquement, doit gagner de dogme en dogme jusqu’à ce que rien du dogme ne subsiste, et que les seuls sociniens sont conséquents, qui sont arrivés à dépouiller la religion de tous les mystères.

D’autre part, en dehors de toute polémique, de pieux érudits appliquaient à la religion les principes de la méthode scientifique. Les bénédictins, à force de candide soumission, élaguaient de la légende chrétienne une foule de saints apocryphes et de faux martyrs, sans inquiéter l’autorité ecclésiastique. Moins heureux étaient Dupin dans ses recherches sur les Conciles, et surtout Richard Simon dans ses études philologiques sur les deux Testaments et sur les Pères. Ceux-ci ne touchaient plus seulement, comme les bénédictins, aux ornements de la religion, mais à ses fondements, qu’ils ébranlaient par le seul emploi d’une méthode qui écartait la tradition de l’Église comme une idée préconçue.

Tout ce qui, dans l’œuvre des théologiens depuis cent cinquante ans, pouvait servir à la démolition de la religion, se ramassa dans les écrits de Pierre Bayle et surtout dans son Dictionnaire historique et critique [1]. C’était un probe et fort esprit, excite plutôt que tourmenté par l’impossibilité de savoir où est la vérité.

  1. Biographie : Pierre Bayle, né en 1617 dans le comté de Foix, meurt à Rotterdam en 1706. On l’y avait appelé en 1681. — Éditions : Dictionnaire historique et critique, Rotterdam, 1697, 2 vol. in-fol., 3e édit. 1720, 4 vol. in-fol. ; Œuvres diverses, la Haye, 1727, 4 vol. in-fol. ; Choix de la Correspondance inédite de P. Bayle, publ. par E. Gigas, Copenhague et Paris, 1890, in-8. — À consulter : F. Brunetière, Études critiques, t. V ; Faguet, XVIIIe siècle. Delvolve, Essai sur le Bayle, 1906.