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précurseurs et initiateurs.

découvertes que la raison a faites dans les sciences au siècle précédent. Il n’accorde guère aux anciens que le mérite un peu négatif d’avoir diminué le nombre des erreurs possibles, d’avoir en quelque sorte usé les plus fausses absurdités, qui auraient eu chance, s’ils ne les avaient essayées, de retenir quelque temps la raison moderne.

L’œuvre la plus significative de Fontenelle est son Histoire des oracles (1687), qu’il tira d’un ouvrage latin, lourdement érudit, du Hollandais Van Dale. La thèse est d’apparence inoffensive : Fontenelle y établit irréfutablement que les oracles des anciens n’ont pas été rendus par les démons. Ce soin pouvait paraître superflu aux environs de 1700. Mais faisons attention au raisonnement. Fontenelle analyse les causes de la crédulité qu’ont rencontrée les oracles : on y a cru, parce qu’on voulait y croire. L’esprit humain, dans l’ignorance, aime le merveilleux. Par légèreté et paresse intellectuelle, on a plus tôt fait d’expliquer que vérifier ; et l’on interprète des prodiges qui n’existent pas : témoin la charmante anecdote de la dent d’or, qu’un enfant en Silésie avait, disait-on, en la bouche. La crédulité de la foule encourage la fourberie de quelques-uns ; l’intérêt des prêtres les pousse à profiter de l’ignorance populaire. Les oracles n’ont cessé que lorsque l’esprit humain s’est éclairé : la philosophie les a fait taire.

L’argumentation de Fontenelle dépasse la thèse qu’il a avancée. Tout ce qu’il dit des oracles pourra se dire des miracles. L’impression qu’on garde du livre, c’est qu’il faut n’accepter le merveilleux qu’à bon escient, que le merveilleux, en réalité, doit s’évanouir par un contrôle sérieux des faits. On recueille dans l’ouvrage, çà et là, négligemment jetés, certains mots sur Platon inventeur de dogmes, exposant l’idée de la Trinité, et d’autres pareils, qui achèvent de nous faire saisir la vraie pensée de Fontenelle. Au fond, cette innocente critique de la foi des anciens à leurs oracles est la première attaque que dirige l’esprit scientifique contre le fondement du christianisme [1]. Tous les arguments purement philosophiques dont on battra la religion, sont en principe dans le livre de Fontenelle.


3. BAYLE.


La science n’assiégea pas seulement la religion par le dehors, elle y pénétra pour la mieux ruiner. Elle prit le dogme corps à

  1. Les jésuites avaient raison de signalier l’impiété essentielle de l’ouvrage.