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vue générale.

l’exceptionnel, le particulier, est, en principe du moins, éliminé. Par là périt l’histoire, et le lyrisme se résout en éloquence. La nature pittoresque, aussi, n’est pas objet de-littérature.

Le xviie siècle, intellectuel, raisonneur, oratoire, s’intéresse surtout à l’homme, et, dans l’homme, à l’âme. Sa littérature est essentiellement psychologique. Les uns analysent les passions, les caractères, les forces, les états de l’âme ; d’autres construisent les formes générales qui contiennent et classent l’infinie diversité des tempéraments individuels. Les genres créés par le xviie siècle, maximes et portraits, sont des appareils enregistreurs de l’observation psychologique.

La littérature n’est pas militante ; elle respecte les cadres sociaux, la hiérarchie, les pouvoirs temporels et spirituels ; elle tient pour résolues, ou elle écarte les grandes questions métaphysiques, qui sont essentiellement révolutionnaires. Elle exprime sereinement, impartialement, le monde et la vie, dans leur commune réalité, sans aspirer à en changer les conditions actuelles. Mais il ne faut pas croire qu’elle soit dédaigneusement artistique, curieuse de beauté, et indifférente au reste : les résultats pratiques des vérités énoncées l’intéressent. Cela n’a pas besoin d’être démontré pour la littérature religieuse ; mais la littérature laïque est imprégnée du même esprit. Corneille, Racine, Molière, La Fontaine, Boileau, chacun a sa « morale », c’est-à-dire une conception des règles qui doivent déterminer la conduite de l’individu, et des fins auxquelles s’adaptent ces règles. La société est faite : ils ne prétendent rien y changer ; mais l’individu, qui vivra dans cette société, est toujours à faire : c’est cet individu à qui tous nos écrivains veulent imposer une forme.

La langue s’est façonnée à l’image du siècle : la langue diffuse, riche, colorée, populaire, du xvie siècle a disparu. La langue littéraire du temps de Louis XIII, encore pittoresque et empanachée, s’est réduite. L’honnête homme des salons se fait une langue selon son besoin. Il se distingue de ce qui est peuple : les termes populaires sont exclus. Il « ne se pique de rien », « n’a pas d’enseigne », de marque de métier : éliminés donc les termes techniques. Il cache son tempérament intime, les mouvements de sa sensibilité, s’il en a : il ne doit offrir à la société que ce qu’il a de commun avec elle, et de communicable, sa raison, ses idées. La langue bannit donc les éléments sensibles, émotifs ou pittoresques ; on cherche à parler comme tout le monde ; on groupe les éléments du langage selon les lois universelles de l’usage, plutôt que selon la loi particulière de la personnalité. On fait une langue claire, simple, régulière, fine, toute en nuances, et d’une exactitude merveilleuse dans sa précision un peu sèche.