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la fin de l’âge classique.

naires en politique, ultramontaines en religion, théories larges et incohérentes, pratique souvent étroite et dure, raison flottante, logique douteuse, fureur d’avoir le dessus plutôt que d’avoir raison : tout cela est dans Fénelon ; et cela n’empêche pas de l’aimer ; tout cela n’empêche pas même de lui trouver un certain air libre et libéral, qui le rapproche de nous. Chrétien, il est mû par le sentiment, plutôt que soumis à la règle ; il est personnel, indocile, téméraire, hétérodoxe. Féodal, il est révolté — du moins au fond du cœur et dans le secret de ses écrits — contre l’absolue domination de Louis XIV. Suivant toujours son sens individuel, il représente la liberté.

Et ce prêtre mystique, ce grand seigneur porte en lui bien des germes de l’avenir, de ce xviiie siècle qui va tuer la noblesse et mettre en péril la religion. Il y a en lui un philosophe, et les philosophes ne s’y sont pas trompés, en contribuant à former sa légende [1] : il aime la paix, la bonne administration, les lumières. Il est sensible. Il a l’amour de l’humanité, le sentiment social et philanthropique ; il est bienfaisant et prêche la bienfaisance. Il l’exerce aussi : il l’a montré à Cambrai pendant les plus dures années de la guerre. Il veut plus de bien-être, de tranquillité, moins de charges pour le menu peuple. Et puis, il se souvient à peine de la chute ; Homère l’emporte sur l’Évangile dans son imagination ; il voit la nature innocente, bonne, heureuse en son premier état. Il indique cette thèse du retour à la nature que prêchera Jean-Jacques, avec qui, au fond, il a tant d’affinités. Il a l’air de regarder le passé : et déjà il fait éclore l’avenir : après tout, n’est-ce pas ainsi que le monde souvent se renouvelle [2] ?

  1. M.-J. Chénier, Fénelon, tragédie, 1793.
  2. Je voudrais au moins citer parmi les hommes du xviie siècle qui ont vu les débuts du xviiie et qui ont contribué à le préparer. l’Écossais Hamilton, l’auteur des Mémoires de Grammont et des Contes : sans valeur aucune de pensée, il a manié le premier en perfection le style du xviiie siècle, style « désinvolte », alerte, aiguisé, éclairé d’esprit, et parfaitement sec en sa finesse brillante.