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la fin de l’âge classique.

la tâche de l’historien : idée singulièrement originale en un temps où l’on n’avait que Mézeray et le P. Daniel, si originale qu’il faudra attendre Augustin Thierry et Michelet pour l’exécuter.

Au moment où Fénelon dut écrire la lettre à l’Académie, la querelle des anciens et des modernes s’était réveillée : les deux partis en appelaient à lui ; il lui fallut bien en parler. Désireux de plaire à tout le monde, il proposa une dizaine de raisons pour et contre l’une et l’autre opinion, encouragea les modernes en approuvant les anciens, et finit par s’échapper sans conclure. Toute sa lettre concluait pour lui : partout il y citait les anciens pour les louer, les modernes pour les critiquer ; d’un bout à l’autre, elle exprimait l’impression de la supériorité des anciens.

Cette Lettre à l’Académie est, après l’Art poétique, le plus important ouvrage que la critique nous présente ; avec elle, nous sommes à la fois tout près et très loin de Boileau : les résultats sont identiques, mais la méthode et l’esprit différent. Fénelon admire les anciens : mais il ne fonde pas son admiration sur des règles absolues et évidentes ; il nous donne des impressions plutôt qu’il ne formule des règles ; c’est son sens individuel qui admire les anciens. Avec la Lettre à l’Académie, la relativité du goût devient secrètement le principe de la critique. Mais la Lettre à l’Académie resta à peu près sans influence.

Il faut lire le Télémaque à temps, dans l’innocence de la première jeunesse, dans l’étourdissement des premières connaissances, pour sentir le charme de l’ouvrage. Il faut le lire dans la maturité, lorsque l’on connait bien l’histoire de la société française, pour en comprendre l’importance historique. C’est un roman pédagogique que Fénelon a composé pour donner au duc de Bourgogne un enseignement moral approprié à ses besoins, tout en lui faisant repasser la mythologie et l’histoire poétique de l’antiquité grecque. Il y a dans ce livre un merveilleux assez froid et un mélange bien incohérent de fictions païennes et d’esprit chrétien. Les continuelles allusions au temps présent diminuent la chaleur et la vraisemblance du récit : il arrive trop d’aventures à point nommé, pour instruire Télémaque et par ricochet le duc de Bourgogne. La langue enguirlandée d’épithètes douceâtres ou pompeuses est un pastiche d’Homère, où l’on sent trop d’élégance aristocratique et d’intelligence spirituelle. Avec tout cela, ce style n’est point factice : il sort naturellement d’une imagination toute pénétrée de la poésie homérique, et échauffée d’une sincère admiration. Le Télémaque est le point de départ de la réaction contre le gouvernement de Louis XIV. Fénelon eut beau se défendre de toute intention satirique : spontanément, en suivant sa nature, il avait appris à son élève à haïr la politique de son aïeul ; et les principes