Page:Lanson - Histoire de la littérature française, 1920.djvu/632

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
610
la fin de l’âge classique.

la curiosité. Il s’applique aussi à varier les tours, il multiplie les figures ; il use surtout de l’antithèse, tantôt ramassée en deux traits rapides, tantôt développée en vastes membres symétriques, tantôt curieusement inégale, par l’extension du premier membre et le resserrement du second, qui surprend d’autant plus. Avec l’antithèse, il prodigue l’ironie où il est maître : il se plaît à dérouter le lecteur par l’exposition flegmatique de la pensée contraire à celle qu’il veut enfoncer, jusqu’à ce qu’un mot, un tout petit mot parfois, tout à la fin du morceau, donne la clef du reste, et nous découvre qu’il faut renverser tous les termes.

Son vocabulaire est extrêmement riche : il a sous la main toute sorte d’archaïsmes, de néologismes, de mots délicats ou populaires, techniques, scientifiques, termes de métier, d’art, de chasse ou de guerre ; en sorte qu’on a pu dire que son livre était un inventaire des richesses de la langue française. Avec cela, style et langue sont chez lui complexes, un peu disparates : il a un style spirituel et une langue d’homme du monde ; il a aussi un style objectif, et une langue d’artiste, à qui tous les mots sont bons, pourvu qu’ils fournissent de la couleur.

Le défaut de La Bruyère, c’est d’avoir trop d’art. Les raffinements et les exubérances de sa technique d’écrivain ont permis de dire que parfois la forme chez lui trompait sur le fond. À certain égard, le style de La Bruyère fait la transition entre les deux siècles. Quoiqu’il manie la période excellemment, sa forme préférée, c’est le style aiguisé, incisif, le trait rapide et qui perce : on n’a pas de peine à passer de là à Montesquieu. Qu’on détende cette forme, qu’elle devienne l’expression aisée du mouvement naturel de l’esprit, et l’on aura les petites phrases coulantes et coupantes de Voltaire.


3. L’ŒUVRE LITTÉRAIRE DE FÉNELON.


Deux attaches retiennent Fénelon [1] dans le xviie siècle dont il est le dernier représentant : la foi, et le goût de l’antiquité. Hors

  1. Biographie : François de Salagnac (mieux que Salignac) de la Mothe-Fénelon, né au château de Fénelon en Périgord (1651), entra dans les ordres, songea à se consacrer aux missions du Canada et du Levant, fut nommé supérieur des Nouvelles Catholiques (1678), puis chargé d’une mission en Saintonge et Aunis après la révocation de l’édit de Nantes, et enfin (1689) de l’éducation du duc de Bourgogne. Il entra à l’Académie en 1693. Il fut nommé à l’archevêché de Cambrai en 1695. L’affaire du quiétisme était déjà entamée. L’Explication des Maximes des Saints, que Fénelon fit paraître en 1697, fut condamnée à Rome en 1699. Fénelon était exilé dans son diocèse depuis 1697. Il mourut en 1715, le 7 janvier.

    Éditions : Traité de l’éducation des filles, 1687 ; Dialogues sur l’éloquence (écrits vers 1681-1686). 1718 ; Lettre à l’Académie, réflexions particulières sur la grammaire, la rhétorique, la poétique et l’histoire, 1716. in-12 ; 2e édit. 1718 ; Télémaque, Paris,