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querelle les anciens et des modernes.

épigrammes contre l’Académie des Topinamboux, contre Perrault et ses admirateurs, prenait encore Perrault à partie dans un discours sur l’Ode dont il faisait précéder sa misérable Ode sur la prise de Namur, entreprise pour justifier Pindare et en faire sentir la manière. Tout cela ne réfutait ni le Siècle ni les Parallèles. Boileau le sentit et donna en 1694 ses neuf premières Réflexions sur Longin, œuvre de mauvaise humeur, d’ironie lourde et brutale, de critique mesquine et puérile. Comme Perrault avait dénigré violemment Homère et Pindare, Boileau, laissant la question générale, se rabattait à défendre Homère et Pindare, en démontrant que leur censeur ne les avait pas entendus. Il y a pourtant d’excellentes choses dans ces Réflexions, des vues générales et profondes : mais elles sont enveloppées ; jamais elles ne se présentent franchement, en pleine lumière ; et ce n’est pas une petite affaire de les extraire.

Au fond, Boileau était dans une fausse position : il était très « moderne » lui-même, et la façon dont il a habillé son Longin à la française montre la puissance qu’a sur lui le moyen goût de son siècle. Et puis surtout les œuvres de ses amis lui rendaient la tâche difficile : après Racine et La Bruyère, après Bossuet, après La Fontaine et Molière, après Pascal et Corneille, comment soutenir l’infériorité des modernes ? Le xviie siècle qui finissait n’avait-il pas raison de s’admirer dans son œuvre ? Boileau le sentait : car lorsqu’on l’eut réconcilié avec Perrault, il lui écrivit en 1700 une lettre excellente, où, reprenant à son compte la thèse de son adversaire en la limitant, il égalait le xviie siècle non pas à toute l’antiquité, mais à n’importe quel siècle de l’antiquité. Il évitait de mettre les modernes au-dessus des anciens dans tous les genres ; mais il montrait qu’il y avait des compensations, et que, plus faibles ici, les modernes, là, étaient supérieurs. Enfin, avec une étonnante sûreté de goût, il faisait le départ des œuvres immortelles du xviie siècle ; il séparait les Molières des Sarrasins : il disait, pour faire valoir son temps, précisément les noms que nous disons encore. Mais Boileau ne battait Perrault qu’avec les propres armes de Perrault.


2. PORTÉE ET CONSÉQUENCES DU DÉBAT.


Ainsi se termina la première phase de la querelle des anciens et des modernes. Il est facile de voir, dans ce simple exposé, le sens et la portée du débat. Les adversaires des anciens, Perrault, Fontenelle, sont des cartésiens : ils appliquent à la littérature l’idée cartésienne du progrès, et, au nom de cette idée, ne voyant dans toute la poésie et dans toute l’éloquence que des œuvres de la