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les grands artistes classiques.

seul homme, sans doute, ne leur fut pas inférieur, je veux parler de Fénelon. Mais nous n’avons guère de lui que des harangues de cérémonie, des discours solennels où il s’est forcé pour être majestueux et digne. À l’ordinaire, il improvisait, et ce qu’il pouvait y avoir de séduction, de tendresse, de grâce ondoyante et captivante, d’abondance d’idées et de sentiments, dans ces homélies familières qu’il « parlait » si inépuisablement, ses écrits et particulièrement ses lettres de direction peuvent nous l’apprendre.

Je me contenterai de signaler Fléchier [1].

Cet abbé de ruelles, faiseur de vers latins aimables et de vers français coquets, assidu a l’hôtel de Rambouillet dans ses derniers beaux jours, intime ami de Mme  et de Mlle  Deshoulières, ce bel esprit d’Église qui est un des intermédiaires par où l’on passe de la préciosité de 1650 à celle de 1715, fit en sa maturité un prédicateur estimé et décent, un excellent évêque, zélé, charitable, doux. Malgré tout, par-dessus le prédicateur et par-dessus l’évêque, surnage toujours le galant homme, l’homme du monde, qui « ne se pique de rien », qui fait les devoirs de son état en perfection, sans tapage et sans pose, sans gravité trop sérieuse aussi, avec un coin de sourire aux lèvres, et un air exquis de finesse un peu railleuse. Dans sa prédication, il parla convenablement des vices du jour, des dettes, des mariages d’argent, des vocations forcées, des devoirs des mères. Il se fit admirer surtout dans l’oraison funèbre : il eut toutes les qualités mondaines en parlant des gloires du monde, et même le tact suprême d’être sincèrement chrétien. Fléchier est un admirable rhéteur, d’une souveraine élégance de forme, d’une rare délicatesse d’oreille : sa prose est merveilleuse de rythme, et telle page des oraisons funèbres, l’exorde par exemple de celle de Turenne, donne la sensation d’un chant.

Les qualités de Fléchier sentent la décadence, et en effet avant la fin du siècle il est sensible que l’éloquence chrétienne s’en va, du même pas que l’esprit chrétien. Dès 1688, La Bruyère, dès 1681-1686, Fénelon, enregistrent la décadence de l’éloquence de la chaire. Ils s’accordent à reprocher aux prédicateurs l’ambition et le bel esprit, l’ignorance de la religion et le manque de zèle. Le sermon est un spectacle, ou un exercice littéraire. L’orateur ne cherche

  1. Biographie. Esprit Fléchier (1632-1710), précepteur du fils de Le Fèvre de Caumartin, qu’il suit aux grands jours d’Auvergne (1665-66), évêque de Lavaur en 1685, de Nîmes en 1687 : Oraisons funèbres de Mme  de Montausier (1672), de Turenne (1676), de M. de Montausier (1690).

    Éditions : Œuvres complètes de Fléchier, Nîmes. 1782, 10 vol. in-8 ; Mémoires sur les grands jours d’Auvergne, édit. Gonod, 1814 ; édit. Cheruel, 1856. — À consulter : l’abbé A. Fabre, De la correspondance de Fléchier avec Mme  Deshoulières et sa fille, Paris, 1871 ; la Jeunesse de Fléchier, 1882, 2 vol. ; Fléchier orateur, 1886.