Page:Lanson - Histoire de la littérature française, 1920.djvu/611

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
589
bourdaloue.


5. BOURDALOUE.


Bossuet étant descendu des chaires de Paris dans toute la force de l’âge et du talent, le souvenir de sa prédication, que ne soutenait pas l’impression, se perdit vite au milieu de tant de titres de gloire que son activité paisible lui acquérait incessamment. De plus, dans les sermons de Bossuet, les contemporains estimèrent surtout la logique et la science ; et ils ne s’aperçurent pas, lorsqu’il se tut, qu’il leur manquât quelque chose, parce qu’au même instant Bourdaloue vint tenir sa place, et réaliser d’autant mieux leur idéal qu’il ne le dépassait pas [1].

Ce Père jésuite débuta dans les chaires de Paris en 1669 : dix ans de prédication en province l’avaient formé. Mais, avant de prêcher, il enseignait dans les collèges de sa compagnie ; il professa les humanités, la rhétorique, la théologie morale ; il y prit le pli qui ne s’effaça jamais ; après que ses supérieurs eurent découvert l’orateur qui était en lui, il resta un homme de science et d’enseignement : son éloquence fut toujours didactique, et chacun de ses discours fut un cours.

Bourdaloue n’a point de biographie : c’est une âme pure, modeste, soumise, qui se donna toute à son devoir. Il prêcha pendant quarante-deux ans : huit jours avant sa mort, il prêchait encore. Le seul incident de sa vie est une mission en Languedoc après la révocation de l’édit de Nantes. Cependant la prédication ne l’occupa point seule : il confessa, il dirigea ; et c’est là qu’il acquit et nourrit cette science du cœur si merveilleuse chez un homme dont nulle passion n’a troublé la vie.

Fénelon nous a tracé dans ses Dialogues sur l’éloquence un portrait de Bourdaloue prêchant, qui manque de bienveillance, mais non de vérité. Le prédicateur a le geste rare, un mouvement de bras égal et monotone, la voix mélodieuse et uniforme, sans autre nuance qu’un peu plus de lenteur ou de rapidité dans le débit : les yeux sont clos ; la mémoire travaille pour représenter la suite du discours appris par cœur ; et parfois l’orateur reprend quel-

  1. Biographie. Né à Bourges en 1633, Bourdaloue entre chez les jésuites ; ses supérieurs l’appliquent à l’enseignement jusqu’en 1659 ; de 1659 à 1669 il prêche en province. En 1669, il prêche un Avent à Paris ; en 1670, un carême à la cour, qui neuf fois encore l’entendit. Il mourut en 1704. — Éditions : Œuvres, éd. du P. Bretonneau, 1707-1734, 16 vol. in-8 ; 17 vol. in-8, 1822-26 ; Paris, 1833-34, Lefêvre, 3 vol.gr. in-8. — À consulter : A. Feugère, Bourdaloue, sa prédication et son temps, in-8, 1874. Le P. M. Lauras, de la Compagnie de Jésus, Bourdaloue, sa vie et ses œuvres, 2 vol., 1881. Le P. Griselle, Sermons inédits de Bourdaloue, 1901 ; Bibliographie (Bibliothèque des Bibliographies critiques) ; Nouveaux sermons inédits, 1904, Histoire critique de la prédication de Bourdaloue, 2 vol. 1901. Le P. Chérot, Bourdaloue inconnu, 1898 ; Bourdaloue, sa correspondance et ses correspondants, 1899 Castets, Bourdaloue, 2 vol. 1901-1904.